A peine âgé de 15 ans, un jeune nageur tunisien dépose ses valises au Centre National d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu. Loin de Tunis, de sa famille, de sa méditerranée natale, le jeune Oussama Mellouli, passera ainsi deux années difficiles sur les hauteurs pyrénéennes. Des années essentielles à un parcours exemplaire couronné par deux médailles d’or Olympiques et un diplôme d’ingénieur informatique de la prestigieuse université américaine de l’USC de Los Angeles.
Mai 2013, retour aux sources. Oussama Mellouli revient avec plaisir sur les lieux du crime pour préparer les Jeux Méditerranéens et les Championnats du Monde à Barcelone (Médaille d’Or sur 5000 m en eau libre et médaille de bronze sur 10000 m). Un lieu de souffrance et de rires, d’émotions et de saveurs. Un lieu qui a vu le jeune Oussama se verticaliser, grandir, se construire, éclore, s’épanouir…
Les bulles de Champagne remontent à la surface comme autant de souvenirs. Allez on trinque !!!
Dans quelles conditions as-tu débarqué à Font-Romeu ?
C’était en 1999. Avec l’équipe tunisienne, je préparais à Font-Romeu les Jeux panarabes prévus quelques temps après en Jordanie. Le DTN de l’époque s’est rendu compte que je réagissais très bien à l’altitude puisque j’obtiens une médaille malgré mes 15 ans. Il me propose donc de venir ici à Font-Romeu car il y a un lycée, un internat, un pôle France…Mon environnement avait compris que j’avais maximalisé mes capacités de développement en Tunisie et qu’il était temps de chercher une concurrence ailleurs. Après avoir discuté avec mes parents, me voilà débarqué à Font-Romeu en septembre 1999. La très bonne entente entre Claude Fauquet, DTN de la fédération française et le DTN tunisien a facilité mon arrivée dans le cadre d’une collaboration entre les deux fédérations.
L’altitude, le froid, l’éloignement de la famille…Comment as-tu vécu ce changement ?
Très dur…très, très dur. A l’âge de 15 ans débarquer ici. C’est La Montagne. Les gens, ils sont spéciaux… Il faut vraiment prendre l’habitude et connaître. La vie au dortoir aussi, elle est restrictive. Au bout de trois mois, je voulais partir, je craquais. Je dépensais tout mon argent dans les cartes téléphoniques, pour appeler….ma mère. Elle m’a vraiment aidé à patienter, à tirer profit de cette expérience en me disant qu’il fallait que je décroche de bons résultats à l’école et que je développe mes qualités de nageur. En additionnant le temps scolaire et le temps d’entraînement, cela représentait plus de 50 heures par semaine.
Cette charge devait être difficile à supporter !
Non, c’était quitter le pays, quitter la famille, la chaleur familiale. On est une famille très proche, très soudée. Partir m’a fait perdre tous mes repères. A un très jeune âge, il fallait que je me recadre, me resitue…J’étais souvent triste. C’était dur. Chaque fois que des athlètes ou une équipe de Tunisie venaient s’entraîner sur le site de Font-Romeu, j’étais super content. Ce que je trouvais vraiment dur, c’était la discipline imposée, les horaires, se lever très tôt et le couvre feu à 22 heures. Il y avait un coté très militaire. Lors de ma première année, j’allais rarement au petit déjeuner. Je me levais uniquement pour aller à la cabine téléphonique appeler ma mère. Je me cachais pour que personne ne me voit, si je pleure…Non c’était vraiment dur !!! Mais cela a donné des résultats. C’est clair que j’ai appris beaucoup de choses ici à Font-Romeu. La discipline, le fait de vraiment compter sur soi, s’organiser, bien bosser,…
Ton intégration auprès des nageurs, entraîneurs, enseignants s’est bien passée ?
Oui franchement… le groupe natation était génial, il y avait pas mal de talents qui nageaient avec moi. Et puis j’ai rencontré des entraîneurs exceptionnels comme Richard (Martinez) qui m’avait intégré dans son groupe et Anne (Riff)… Richard est un grand technicien. J’ai beaucoup appris de lui.
Sur un plan plus personnel, le manque d’intimité a rapidement été compensé par une amitié consolidée dans le temps. On passe tellement de temps ensemble. On apprend à se connaître, à se respecter, à partager. Je crois que les gens autour de moi savaient que j’étais un peu en souffrance. Ils savaient et me laissaient un peu tranquille.
Font-Romeu a une tradition d’accueil de nombreux îliens issus des DOM – TOM. Ils sont également confrontés à ce déracinement difficile à vivre.
Oui, ils sont dépaysés. C’est sûr ! Certains sont un peu dans la même situation que moi, voilà quelques années, mais si l’on garde bien ses objectifs en tête, cela peut donner des résultats extraordinaires. Cela passe par des périodes de doute, de stress…normales dans un parcours de haut niveau. J’espère que les petits mots échangés avec les nageurs du pôle de Font-Romeu seront de nature à les rassurer en acceptant le fait que ces phases difficiles constituent un passage obligé.
La structure sur Font-Romeu est vraiment unique. Séances du matin et du soir, séances de « Préparation Physique Générale », les nombreuses activités de pleine nature proposées… Ce qui est sûr c’est qu’au plan psychologique, ce n’était pas la belle vie. Dur…dur…
Combien de temps es-tu resté à Font-Romeu ?
J’ai suivi une seconde en 1999 – 2000 puis une première S en 2000 – 2001. En 2001, je participe aux Jeux Med organisés à Tunis avec Richard et je gagne ma première médaille internationale, une médaille de bronze sur 400m 4Nages. Cela était considéré comme un exploit en Tunisie. Depuis bien longtemps mon pays n’avait pas remporté de médaille en natation. Cela a été un moment important dans mon parcours.
A l’issue de ces championnats, j’ai passé un super été. Joie et bonne humeur. Remonter ensuite à Font-Romeu pour mon bac, c’était vraiment dur. (rire…) A l’aéroport de Tunis je ne voulais plus partir et remonter sur Font-Romeu. J’ai craqué… Je me souviens, je leur ai dit : « Non, je ne rentre pas à Font-Romeu. Je vais ailleurs. N’importe où, ca m’est égal, je vais ailleurs. » La réponse de ma mère a été radicale : « Non. Tu remontes à Font-Romeu, ça c’est bien passé avec Richard » Elle a appelé Richard qui dit « pas question ». Je pleurais, je pleurais, je pleurais…J’avais 17 ans. Je pleurais quand même. Au final, j’ai écouté ma mère et je suis remonté à Font-Romeu pour quelques mois.
Tu as donc obéit à ta maman et à Richard ?
Ouais…plutôt à ma mère.
Comment s’est passé la rupture avec Richard ?
Lorsque j’ai décidé de partir en tout début de saison, Richard considérait que ce n’était pas le bon moment. … Il voyait cela comme une mauvaise rupture. Je n’avais pas le même avis. Je lui ai dit. « Je veux aller à Marseille …je veux que ce soit plus proche de Tunis. ». A Marseille, j’avais également plus d’opportunité de voir mon père qui travaillait à la douane sur les bateaux et faisait de nombreux aller-retour entre Tunis et Marseille. Et puis je me disais que pour passer mon bac dans de bonnes conditions, il fallait que je sois apaisé et plus relax. Il ne comprenait pas que je puisse être à la fois super greatfull (reconnaissant) pour tout ce qu’il m’a appris à Font-Romeu, des performances que l’on a réalisé aux Jeux Méditerranéens, du chemin parcouru ensemble et en même temps décider de partir. Ce départ me paraissait comme une évidence, une nécessité qui me fallait assumer car j’avais atteint les objectifs 2001 que je m’étais fixé.
A ce moment, tu cherchais un environnement plus équilibrant, plus stimulant ?
Voilà, j’avais besoin d’être plus content, plus à l’aise, de me calmer dans ma tête, d’être plus heureux. Je suis donc descendu au Cercle des Nageurs de Marseille m’entraîner avec Denis Auguin. J’avais une chambre au Cercle, beaucoup d’attention et de considération. Je nageais avec Alain Bernard. C’était vraiment autre chose, un autre standing, c’était super bien. Et puis avec la plage, la méditerranée, la chaleur marseillaise je me sentais chez moi.
Je suppose que tu as découvert une différence importante de management entre Richard Martinez et Denis Auguin.
…C’est le jour et la nuit. Avec Richard, on a le sentiment qu’il faut aller vers lui. C’était le cas puisque on avait initié la démarche pour que Richard m’entraîne à Font-Romeu. Et puis à cette période, je n’avais pas encore de palmarès. Ma performance aux Jeux Méditerranéens et mes temps réalisés ont changé mon statut. La relation avec Denis Auguin s’est construite plutôt dans l’autre sens. Il souhaitait que je sois là-bas et que j’ai une relation avec lui. Il était dans une logique de recrutement comme tout entraîneur qui sent qu’il peut aider un sportif de qualité à performer. Et puis, moi, j’étais disponible… Denis a été très avenant avec moi en faisant preuve de beaucoup d’empathie, d’attention…, mais je crois surtout qu’avec l’âge, la maturité, on a besoin d’autre chose, d’un autre type de relation. C’était un bon choix car j’ai également obtenu d’excellents résultats avec Denis.
On a l’impression que dans ta carrière, une fois que tu as fait le tour tu as envie de passer à autre chose.
Il le faut. Comme une force qui me pousse à chercher ailleurs des expériences différentes dans un environnement renouvelé. J’ai toujours trouvé mon équilibre à travailler avec des coachs successifs. Ce n’est jamais la même chose, le même contexte, les mêmes mots, les mêmes modes de communication, de management…Mon challenge a été à chaque fois d’apprendre différentes choses de différents coachs en écoutant ce qu’ils avaient à me dire.
Avec Denis, on bossait bien et j’avais plus de liberté pour que je m’épanouisse. C’était un programme dur, mais la charge d’entraînement était un plus allégée, à raison d’une seule session par jour (deux à Font-Romeu) parce que j’avais le bac… et j’ai obtenu malgré tout d’excellents résultats en natation et un bac S avec mention assez bien. Objectifs réalisés, il me fallait changer d’air et changer de bassin. J’avais décidé de prolonger le double projet en m’inscrivant dans une Université Américaine réputée pour son team natation.
Après mon bac, j’ai donc de suite enchaîné mes examens pour les Etats Unis (TOEFL, SAT, …) tous ces trucs là. Et puis, j’ai commencé des études d’ingénieur en Informatique, récemment achevées.
Avec quel entraineur ?
Mark Schubert au début. Un très grand coach au palmarès incroyable qui dirigeait le team natation de l’USC (University of Southern California). Il fut également Head coach de l’équipe olympique américaine pendant 28 ans. Je suis resté avec lui le temps de mes études, mais il est parti de l’USC pour aller ailleurs travailler avec l’USA Swimming ‘s et puis David Salo qui l’a remplacé en 2007. Marc et David sont également complètement différents. La relation avec David n’a pas toujours été évidente, mais cela a été une bonne chose. Une fois de plus, cela m’a permis de me renouveler, de me rafraichir les idées, de me stimuler.
C’est une des raisons qui a amené Agnel à quitter Pellerin pour aller vers Bob Bauman ?
Quelque part oui. Peut-être que cela a été une bataille d’ego. Grand Entraineur – Grand Nageur. Lorsque le succès est au rendez-vous, c’est difficile de gérer des deux cotés. Ils se sont pris la tête un peu…Mais cela arrive. I
Ce n’est pas toujours évident de trouver le bon équilibre dans une relation nageur-entraîneur. Il ne faut pas voir ces conflits, ces tensions comme des éléments négatifs, ce n’est pas une bataille physique, c’est juste de trouver le bon équilibre entre deux personnes qui veulent avancer loin ensemble.
Richard, Denis, Marc, auraient bien aimé me garder… Si demain, je dis à mon entraîneur américain David Salo où à mon entraîneur Tunisien Ameur Ben Rekaya que je pars, cela ne leur plaira pas non plus. Mais ainsi va la vie.
Quelles sont les qualités essentielles d’un bon entraineur ?
C’est un bon être humain. Il faut vraiment que l’athlète sente, soit convaincu de la personne. Cela se situe au delà des qualités techniques, de la connaissance du sport et de l’expérience de l’entraîneur. Une certaine compatibilité de caractères est nécessaire pour que la relation se développe et que le couple soit performant… On passe beaucoup de temps ensemble, on partage des expériences, des émotions, des échecs, des réussites. La relation s’approfondit avec le temps. Le coach doit être conscient de ça, il doit être conscient de cette relation là. A un certain niveau, il faut qu’il soit plus attentif aux besoins de l’athlète.
Trouver un équilibre suppose que tous les deux soient satisfaits de la relation. Il faut que tous les deux soient convaincus de ce partenariat là, pour que l’histoire continue. Parce qu’on est ensemble 4 à 5 heures par jour. On passe plus de temps ensemble qu’avec nos familles respectives. Il est logique que l’on se prenne parfois la tête avec des hauts et des bas.
Quel profil d’entraîneur semble le mieux te convenir ? Des personnalités plutôt affirmées et autoritaires, des entraineurs plus discrets, moins bavards,…
Franchement, j’ai toujours été une sorte de caméléon. J’ai essayé de m’intégrer là où je passais. Essayer de laisser une bonne impression, d’être discipliné, de travailler au maximum.
Je me rappelle…Richard ; il arrêtait souvent quelques athlètes dans le bassin ; il leur gueulait dessus. Mais c’est parce qu’il souhaitait que chacun puisse accéder à son potentiel de performance. Il cherche à amener les sportifs à se prendre en mains pour porter leur projet. Richard connaît très bien les exigences du très haut niveau.
Alors moi, même s’il gueulait, j’essayais de comprendre ce qu’il disait. J’essayais de capter au maximum ce qu’il voulait dire au niveau des consignes et les appliquer. De faire ce qu’il disait, même si cette consigne là, ne m’était pas destinée. J’ai essayé d’apprendre de chaque entraineur…au maximum. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec des gens extraordinaires partout où je suis passé. Des entraineurs de qualité dans des structures d’entraînement exceptionnelles, que ce soit ici ou aux Etats-Unis. Avec un peu de travail, un peu de sérieux, j’ai réussi à grimper les marches pour arriver au sommet…enfin je pense.
Ton palmarès a changé ton statut dans la relation avec tes entraîneurs.
Absolument. Si tu disposes d’un bon palmarès, les entraîneurs sont d’autant plus attentifs à toi. Mon statut m’offre aujourd’hui plus de liberté et de possibilité d’affirmation de ce que je veux ou pas. Ce changement de statut s’est opéré progressivement, en douceur. Lorsqu’un nageur est peu talentueux, sérieux…il attire plus d’attention de son entraîneur.
Est-ce qu’aujourd’hui tu as le sentiment que l’entraînement en Altitude avant une échéance internationale est une nécessité ?
Je réagis plutôt bien aux stages en altitude, et j’ai d’excellents souvenirs au niveau des sensations et des résultats. L’altitude amène une modification des paramètres sanguins très favorable à l’amélioration des performances dans les sports d’endurance. On crée de l’EPO (Erythropoïétine) au naturel.
En général, je descends quelques jours avant chaque échéance. Deux, trois jours à peine. Son entraîneur tunisien, Ameur Ben Rekaya précise : « Normalement, on respecte un protocole mais il arrive parfois qu’on ne puisse complètement le respecter. Avec l’expérience, la maturité, Oussama est suffisamment aguerri pour jongler avec les problèmes d’adaptation pour trouver réellement ce qu’il a besoin. »
Du moment que l’on fait le travail. Les heures dans l’eau, l’intensité, amènent un changement physiologique, de nouvelles sensations et une certaine aisance. Après…, le respect des protocoles recommandés dans les publications scientifiques me paraît moins essentiel que le sentiment de m’être bien entrainé et d’avoir de bonnes sensations. Bien entendu, on essaye de se rapprocher, de s’inspirer de ces recommandations.
Peut-on faire une comparaison entre la structure d’entraînement aux USA et Font-Romeu ?
A Colorado Springs. Ils n’épargnent rien. Ils mettent toutes les conditions surtout pour recevoir des athlètes d’un certain calibre. On est habitué à certains Amenities (équipements, confort…), Internet, la télé dans de grandes chambres, la télé dans le restau…Professionnel quoi !!!
Mais ici, à Font-Romeu, on a des compensations. Tout le monde est content de nous accueillir. On se sent vraiment chez nous, c’est la francophonie, …On aime bien ça, c’est une des raisons pour laquelle on revient ici.
Je prends un plaisir fou à être là. C’est bizarre…Des sensations complètement autres. Avant, quand je montais, avec ma malle à l’aéroport de Barcelone, c’était vraiment l’angoisse. Je ne voulais pas remonter.
Ce retour est vraiment très très agréable, je prends vraiment du plaisir à voir la montagne, revoir tout le monde, la piscine, le cadre, tous les souvenirs qui me reviennent. C’est ma madeleine de Proust…
Francis Distinguin
Mission Haut-Niveau/ Formation
CREPS Font-Romeu / Centre National d’Entraînement en Altitude / Cité de l’Excellence Sportive – Font-Romeu – Sud de France.