Un gros rocher posé sur la terrasse du restaurant l’Ermitage, au pied du CNEA de Font-Romeu, contemple la beauté du plateau catalan, encore vêtu de son manteau de neige en ces premiers jours de printemps. L’hiver fut rude. Ce petit café au soleil est un régal.
Ancien joueur et entraîneur de football américain, Alain Delorme gère aujourd’hui une des plus importantes structures privées du Canada dans le domaine de la préparation physique.
Depuis de nombreuses années, la plupart des équipes canadiennes s’appuient sur la compétence et les services proposés par le département Haut Niveau de sa société Actiforme, qui emploie une vingtaine de personnes dont la moitié est exclusivement affectée à la préparation physique des sportifs de haut niveau.
Alain Delorme a découvert le CNEA de Font-Romeu lors de son premier stage avec un boxeur professionnel en 2012. Depuis cette date, Font-Romeu constitue un étape de référence. Il nous parle de l’évolution et de la professionnalisation de son métier. Entretien en compagnie de Nicolas Bourrel, préparateur physique et consultant sur l’entraînement en Altitude au CNEA de Font-Romeu :
En quelques années, le terme de « préparateur physique » a envahi le champ sportif. Si sa définition regroupe plusieurs acceptations, ne relève-t-elle pas d’abord d’une conception et d’une analyse de la performance ?
A force d’utiliser un terme, il perd son sens et sa vitalité. Au delà de l’expertise et du rôle que l’on assigne généralement au préparateur physique, il convient en préalable de l’associer à la question « Quelle est l’hypothèse la plus favorable pour progresser et permettre le succès ? ». Mais pour que cette question puisse être réellement pensée, débattue, cela suppose de passer du temps avec les entraîneurs pour créer les conditions d’un véritable échange. Derrière chaque mot se cache une définition, une compréhension qui renvoie à la culture et l’histoire de chacun. Même au sein d’un groupe homogène d’experts, ce temps est nécessaire pour que ce rapprochement opère. Il faut bien se dépatouiller avec le langage.
Je préfère discuter dans un café en dehors de nos bureaux car le contexte est important. Je ne veux surtout pas en mettre plein la vue à mes interlocuteurs en valorisant mes installations, mes compétences. Je laisse mes diplômes au vestiaire. J’essaye plutôt de me mettre à portée, à créer la bonne distance, à créer un environnement où chacun peut se débarrasser de son égo, de son statut, le temps d’un réel échange avec l’autre.
Cette perméabilité à l’autre me semble une qualité essentielle d’un préparateur physique. On n’arrive pas à accéder à la performance sen déposant son barda de « savoirs » et « savoir faire » au pied des athlètes et des entraîneurs.
Parfois on part de loin, car on ne se comprend pas toujours. On est dans une incommunicabilité liée à nos représentations, notre langage, notre culture…Il faut donc bien mettre les choses à plat pour s’assurer que l’on parle de la même chose. C’est à ce moment que l’on passe subrepticement d’un échange stérile de posture à une certaine complicité. On peut dès lors commencer à collaborer ensemble.
Pour moi, il s’agit d’une étape première et essentielle. Au lieu de camper chacun dans son champ d’expertise, il faut sortir de la dualité pour s’engager vers une complicité. Dès lors, il est possible d’envisager une stratégie collaborative. En l’absence de complicité avec l’entraîneur, nous refusons tout conventionnement avec une équipe.
Pourtant le développement de la demande et de la concurrence entre « Préparateurs Physiques » inciterait plutôt à contracter avec des équipes sans fixer des conditions préalable. Si vous refusez de collaborer avec une équipe, d’autres structures ou préparateurs physiques viendront occuper la place vide, ce qui pourrait représenter une perte de « clientèle » pour votre entreprise.
Mon métier n’est pas d’être « préparateur physique » mais « entraîneur en préparation physique. » Je situe mon rôle comme un consultant, un agent de changement, un leader capable d’influencer le changement le plus favorable dans l’intérêt de l’athlète. Je m’inscrits dans une démarche holistique où je ne suis pas prescripteur à tout va de contenus de préparation physique s’il ne s’agit d’une proposition qui répond à une question, laquelle ne peut se résumer à avancer des paramètres physiologiques ou des batteries de tests d’évaluation sur les capacités de tel ou tel athlète en force ou vitesse. L’essentiel est de procéder à une analyse contextuelle de la performance et de tenter de s’approcher de la singularité de chaque athlète.
Il ne s’agit pas d’évincer les experts, mais les placer en position de participer à la réflexion sur la performance en dehors de leur champ d’expertise. Ils ne peuvent se placer au dessus de la mêlée, porteur d’une quelconque vérité mais sont invités à entrer dans la mêlée pour apporter leur vision, leurs hypothèses sur la performance, réfléchir ensemble, et accepter le challenge de la confrontation avec les non experts dans une approche holistique de la condition humaine.
Lors des entretiens avec des teams nationaux ou athlètes à très hauts potentiels, je ne pense pas à vendre « un service de préparation physique ». J’essaye de bien clarifier avec les entraîneurs ce dont ils ont besoin et si je peux les aider ou pas dans leur projet de performance. Cela suppose de supprimer tout rapport de dominant au regard d’une expertise présupposée. En fait, lui a besoin de vous, mais vous n’avez pas besoin de lui.
Ce temps passé à observer et discuter, en moyenne une vingtaine d’heures, n’est pas perdu. Bien au contraire, cela permet de créer des relations et fondations solides.
La plupart des acteurs qui interviennent auprès des athlètes avancent d’abord « leur savoir », puis « leur savoir faire », puis « leur savoir être ». « Le savoir » est un espace occupé par les réseaux d’experts spécialistes de la cellule musculaire, de l’altitude, de la discipline,…
Ma démarche est inversée. Je pars toujours du « savoir être », qui constitue un moyen pour moi, d’engager une réflexion avec l’entraîneur sur la performance. La création d’un climat de confiance et de complicité est le préalable pour ouvrir de nouveaux horizons dans le champ des « savoirs » et des « savoirs faire ». A partir de là, on peut être amené à recruter des spécialistes de tel ou tel aspect de la performance.
Quelles sont les qualités d’un entraîneur en préparation physique ?
Son premier challenge est de créer les conditions pour écouter et comprendre les entraîneurs et les athlètes. Cela exige une mise à distance par rapport à sa pratique, son vécu, ses préjugés pour éviter de se faire aspirer par des certitudes, des modèles, des contenus, sans que la véritable question des conditions d’émergence de la performance n’ait été posée ensemble. Engager une relation avec un entraîneur ou un athlète exige, pour ma part, de faire tomber les murs, pour créer par une relation directe, peer to peer, les conditions d’échange et de compréhension mutuelle. Cette dimension est première et prioritaire. Le but est d’aboutir au « training readyness », à la conviction mutuelle que nous pouvons réellement travailler ensemble dans la transparence et apporter une plus-value aux entraîneurs.
J’insiste en permanence sur le concept d’intégration. Il ne s’agit pas là pour « l’entraîneur en préparation physique » de se dissoudre dans l’autre, ni d’abandonner ses convictions mais de faire preuve parfois d’abnégation en validant parfois des arguments avancés par les entraîneurs. La question d’un coach qui prend en main un athlète ou une équipe est de se demander qui peut l’aider à augmenter la capacité de performance de son groupe. Il interroge le réel en se demandant : Est-ce que j’ai besoin d’un technicien, d’un préparateur physique, mental ? L’entraîneur procède souvent à un diagnostic par découpage en identifiant les principaux obstacles à la performance.
Ces questions portent déjà en elle une vision erronée. C’est là, où il faut engager un stratégie d’intégration. Ce diagnostic procède d’un échange et d’une stratégie de gouvernance « peer to peer ». L’important est de créer de l’interaction.
Mais l’interaction est un préalable, une condition nécessaire mais pas suffisante pour valider les compétences d’un entraîneur en préparation physique.
Oui bien sûr, il porte en lui ses compétences, son expérience, son « savoir-faire » indispensable mais au delà de cela, il doit être capable de se positionner au sein du collectif qu’il entraîne en prenant garde de ne pas s’oublier dans le relation avec ses athlètes et en préservant l’harmonie avec l’entraîneur. Il faut qu’il soit loyal, et qu’une réelle complicité s’instaure. Il a obligation de double transparence avec l’entraîneur et avec l’athlète.
Je me souviens avoir travaillé avec un coach considéré comme un tyran par ses athlètes. Il était fréquent que les athlètes viennent se plaindre auprès de moi, notamment une jeune athlète que j’entraînais depuis l’âge de 13 ans. « Il m’a traité de ceci, de cela… ». Je pense qu’il ne faut pas être en sympathie à la cause. Il faut alors faire preuve d’une approche « touchy » (subtile), pour créer une nouvelle perméabilité entre l’entraîneur et l’athlète pour le reconnecter au collectif.
Cette capacité ; je l’ai développé lorsque très jeune j’étais entraîneur en chef d’une équipe football américain avec 9 entraîneurs (1 entraîneur par position) sous ma responsabilité. C’est là que j’ai découvert que la loyauté et la transparence sont essentielles. En cas d’opposition avec un entraîneur, je jouais le rôle de consultant dans l’espoir de l’amener à changer son point de vue.
La réflexion sur la performance des athlètes, notamment au travers de l’approche en préparation physique est indissociable de la question des modes de gouvernance des structures d’entraînement dans lesquelles s’entraînent la plupart des sportifs. Le sport français a hérité d’une culture jacobine. Le mode de gouvernance de nos organisation sportives se situe au croisement d’un mode monarchique[1], où au final le président (d’une fédération, d’un club,…) prend un certain nombre de décisions qui relèvent du champ de la performance sportive (après consultation ou pas) et d’un mode où toute la confiance dans la prise de décision est accordée aux experts. Le haut niveau n’exige t-il pas de repenser nos modes de gouvernance ?
Oui, tout à fait, la question de la gouvernance rarement abordée dans le champ du sport est essentielle. Le sport n’a pas réelle culture de gouvernance. Il est plus facile pour une organisation de valider des experts pour améliorer l’évaluation des paramètres sanguins que de se remettre en question. Le Québec a forte propension à suivre l’exemple de la France dans ses modalités d’organisation du sport.
Dans le sport de haut niveau, la menace vient de la façon dont nos organisations sportives envisagent la prise en compte de l’avis des experts et des spécialistes. Le schéma qui consiste à créer une direction scientifique constituée d’experts dans laquelle chacun dispose d’une partie du puzzle supposé constituer le tout de la performance est une hérésie. Ce mode de gouvernance ne fonctionnement pas car il ne participe nullement d’une stratégie d’intégration de la performance au service de la singularité de tout sportif. Chaque réponse se trouve cloisonnée dans son champ spécifique. Il s’agit d’un mode de gouvernance vertical où le plus diplômé, le meilleur orateur est mandaté par ses pairs pour édifier la vérité. Ce mode de gouvernance « top to bottom » est daté. Toute stratégie de haut-niveau suppose de ne pas dissocier à priori la discipline sportive, de l’athlète et de l’entraîneur et d’envisager la performance comme un événement singulier et toujours original dans l’espace et le temps.
Alors que le conventionnement devrait s’inscrire à l’aboutissement d’un processus de réflexion, il se résume trop souvent à un assemblage de deux entités étanches l’une à l’autre, ce qui permet de justifier de la pertinence et de la performance des nos structures d’entraînement. Le résultat est négatif tant pour les entraîneurs que pour les athlètes
Pour que le sens soit premier, il faut créer de la perméabilité et de l’échange dans l’intérêt des sportifs et des entraîneurs.
Et c’est seulement par la suite que l’on passe à une validation administrative par conventionnement. Là on s’inscrit dans un mode gouvernance bottum-up
Pensez-vous que cette approche soit une des clés essentielles du succès de votre entreprise ?
Oui, j’en suis convaincu. Notre démarche s’inscrit vraiment dans une perspective à long terme basée sur la confiance et la transparence avec l’exigence pour nous d’être capable d’aider les coachs à avancer sur le chemin de la performance.
Depuis bientôt 25 ans (1992) nous travaillons en étroite collaboration avec la plupart des fédérations au niveau national (waterpolo, nage synchronisée, natation, short track, gymnastique artistique, volley ball, ski alpin, aviron, boxe amateur, boxe professionnel,..)
On discute beaucoup dans les couloirs ou au café pour libérer les paroles. On évite autant que possible les grandes réunions trop formelles où le chef est sommé de prendre la parole devant au auditoire silencieux. Ce genre de réunion doit vraiment être préparé en amont et animé par une personne performante. On se réunit en général une fois par semaine avec les principaux intervenants (entraîneur, préparateur physique, physiothérapeutes …). On appelle ce genre de réunion « The Bunker » ou « The Tranch ». Il ne s’agit pas de refaire le calendrier mais de se poser les bonnes questions et de mesurer l’impact de nos actions par des indicateurs d’adaptation.
Vos fonctions vous amène à visiter de nombreux centres d’entraînement dans le monde. Quelle est votre perception du CNEA de Font-Romeu ?
Le CNEA est une structure unique avec un potentiel important de développement à l’international. Je vois surtout l’intérêt du site dans l’accueil de stage d’entraînement sur une durée déterminée.
Le lieu est magnifique, et je pense que la richesse de l’environnement peut favoriser une modification du regard critique de l’entraîneur sur ses athlètes, l’aider à renouveler ses contenus, favoriser une dynamique d’équipe où peuvent s’affirmer des leaders…
Autant d’éléments de nature à favoriser un saut qualitatif, une évolution, une métamorphose. Ici, c’est un lieu ou les athlètes comme les entraîneurs sortent de leur quotidien, créant ainsi un vide nécessaire pour repenser la condition humaine et la performance.
La prise en compte de l’altitude et de cet environnement de montagne rend à mon avis nécessaire de développer un service d’accompagnement où « l’entraîneur en préparation physique » joue son rôle de consultant pour aider les équipes nationales et internationales à ajuster leurs contenus et charge d’entraînement à l’Altitude et puisse profiter pleinement des possibilités de pratiques de pleine nature du site en fonction des objectifs. Les coachs qui bénéficient de vos services savent très bien qui les guident en montagne, qui les accueillent, qui les accompagnent …Là, on revient dans l’humain, le « savoir être » qui me paraît une valeur forte et essentielle du CNEA . Cela se sait et se partage. De plus en plus d’équipes viennent s’entraîner dans vos structures. N’hésitez pas à ouvrir une bonne bouteille de temps en temps pour célébrer les petites victoires. La question au final à se poser est de savoir si les entraîneurs qui viennent au CNEA de Font-Romeu, recommanderaient le centre et son service à un ami. Pour ma part, la réponse est OUI.
Francis Distinguin
CTPS – Centre National d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu
[1] D’après IT Governance. How Performers Manage IT Decision Rights for Superior Results – Peter Weill / Jeanne W.Ross. Harvard Business School Press 2004