Le Trampoline est une histoire où il s’agit d’échapper à la pesanteur, de s’affranchir de la terre pour toucher le ciel. Icare s’est brulé les ailes en se rapprochant du soleil.
Rencontre cet été au CREPS de Font-Romeu avec Guillaume Bourgeon, entraîneur d’une jeune équipe de France prometteuse qui vise une qualification aux Jeux Olympiques de Rio.
Une jeune discipline olympique
Discipline olympique en individuel depuis les JO 2000 à Sydney, le Trampoline a vécu de profonds bouleversements ces dernières années. Dès l’annonce de sa reconnaissance comme discipline olympique en 1998, les chinois furent les premiers à encourager des milliers de jeunes gymnastes volontaires, de leur plein gré, à s’orienter vers le Trampoline. Dix ans plus tard, les chinois raflèrent la plupart des titres olympiques en présentant de très jeunes athlètes. Rapidement la concurrence s’est organisée avec l’arrivée de très fortes équipes canadiennes, russes et des pays de l’est (Belarussie, Ukraine, Ouzbékistan, Azerbaïdjan,…) lesquelles s’imposèrent notamment grâce à des qualités athlétiques supérieures qui leur permirent d’exploiter au maximum l’évolution technique du matériel.
Un matériel et des règles en évolution
Les trampolines de compétition sont effectivement beaucoup plus puissants qu’auparavant. La toile constituée de bandes croisées est passée de 6x6mm à 6×4 mm puis enfin à 4x4mm. Une histoire de cordage, un peu comme en tennis.
Plus réactifs, ces trampolines permettent un temps de suspension supérieur à condition d’être capable d’enfoncer la toile en restant extrêmement gainé pour que le corps récupère l’intégralité de la force de la toile. Mauvaises chutes, manque de gainage, déficit de puissance et de résistance des athlètes, cela a amené une augmentation considérable des traumatismes au niveau du rachis. La préparation physique a donc progressivement pris une place de plus en plus importante dans toutes les programmations de l’entraînement des équipes.
Le Trampoline mondial est actuellement en pleine mutation du fait du changement des règlements. Jusqu’à un passé très récent, les notes d’exécution (propreté du corps dans l’espace et stabilité) et de difficulté (complexité de l’enchaînement) permettaient de différencier les trampolinistes. Aujourd’hui, viennent s’ajouter des capteurs cellulaires placés sur le trampoline qui notent le temps d’envol. La performance est maintenant évaluée sur trois critères :
- L’exécution (note médiane de 5 juges)
- La difficulté (Addition de la valeur des 10 figures de l’enchaînement)
- Le temps de vol (temps passé dans l’espace en secondes elles-mêmes converties en points)
« Cela suppose de trouver le meilleur compromis sur ces trois critères », précise Guillaume Bourgeon. « Les chinois, par exemple, mettent l’accent sur le degré de difficulté en proposant 4 triples, alors que nous français en plaçons généralement 3 mais en mettant l’accent sur les autres critères. La qualité d’exécution est étroitement liée au temps de suspension et il est question que ces règlements évoluent encore pour valoriser les trampolinistes les mieux centrés sur la toile. Un peu comme les parachutistes qui doivent entrer dans le cercle et toucher la cible pour obtenir les meilleurs scores. Les différences entre les dix meilleures nations mondiales sont tellement tenues que ce sera bien dans les petits détails que les meilleurs sauront tirer les marrons du feu. »
La qualification olympique
«Ce stage au CNEA de Font-Romeu est pour nous une première », souligne le patron de l’équipe de France.«Je suis convaincu qu’une des clés essentielles du succès se trouve dans une dynamique de groupe où le plaisir d’être ensemble transcende les individualités. Ce regroupement s’inscrit dans le cadre d’une reprise de l’entraînement de l’équipe (à l’issue des Jeux européens achevés fin juin) avec un objectif de re-mobilisation et de cohésion du groupe. Il s’agit pour nous de nous projeter d’ors et déjà aux championnats du monde prévus à Odense au Danemark (8 place à gagner pour Rio), puis au Test Event en avril 2016 (8 places supplémentaires à gagner pour Rio). Le règlement du CIO prévoit au maximum deux places garçons et filles par nation en individuel (pas d’épreuve par équipe). A ce jour, on rêve de sélectionner deux garçons et une fille. On a d’excellents jeunes éléments dont la plupart seront en pleine maturité aux JO 2020 au Japon. Mais certains pourraient très bien se révéler dans les prochains mois ».
L’œil et la parole de l’entraîneur
Entraîneurs et athlètes ont développé leur propre langage et modes de communication. « Plus de talon !!! » à l’impact pour éviter de partir en avant ; « Pousse !!! » sur la toile ; « Tire » pour porter les bras en arrière ; « Va chercher le haut, plus tôt l’ouverture, Vincent, ne baisse pas trop vite tes bras, bloque !!! »
« L’impact sur la toile est déterminant. Si les athlètes s’éloignent de la verticalité à la réception, cela modifie alors leur trajectoire ascendante. La tenue de corps permet justement de réduire les mouvements parasites. D’une manière générale, les trampolinistes prennent un repère visuel à l’horizontal au point haut et viennent ensuite chercher du regard la toile pour ajuster leur réception. La plupart d’entre eux ont une telle expertise que la proprioception se substitue au regard, le reléguant au simple rôle de consultant ».
Je n’arrive décidément pas à voir ce qui se passe entre eux. Impressionné par les hauteurs atteintes (8 mètres), mon œil se disperse. Je n’arrive pas à capter, à déceler ce qui passe, et encore moins comment cela se passe. Tels des félins, ces acrobates semblent en suspension dans le ciel, leurs corps s’étirent avant que les muscles se rassemblent pour dessiner des arabesques.
« L’œil de l’entraîneur est important. Développer un œil ne s’apprend pas dans les livres mais à un contact permanent avec le terrain. Depuis plus de dix ans que je m’occupe de l’Equipe de France, je vois aujourd’hui des choses que je ne voyais pas hier. C’est difficile d’avoir un regard neuf à chaque entraînement. Pour chacun de mes athlètes, mon regard s’accroche sur des éléments différents. Pourquoi isoler un élément de la situation dans la mesure où tout concoure à la performance ? Ce n’est pas seulement d’identifier un élément du corps à modifier, mais d’intégrer pleinement la qualité gestuelle dans l’espace et le temps.
Bien entendu, l’expertise en trampoline suppose une bonne connaissance de la bio mécanique, mais c’est la gestion de la situation qui permet au corps de trouver la réponse adaptée. En Trampoline, la notion de rythme est essentielle. Même si les grands principes à respecter sont communs, chacun a une façon qui lui appartient de trouver des solutions pour réaliser son enchaînement technique. Il n’y a donc pas de recette toute faite. »
Mes yeux sont perdus, incapables de discerner une double, d’une triple vrille. Le même sentiment lorsque j’essaye de suivre la trajectoire d’une mouche. Le Trampoline est une histoire d’équation où il s’agit de jouer avec son corps en rotation sur trois axes, couplé à des mouvements de translation amplifiés par l’impulsion sur la toile. Prenez une grande respiration pour bien saisir les tenants et aboutissants ! J’en suis déjà tout essoufflé. Ca y est, je commence à comprendre. Mon regard sort de sa réserve. L’obscurité s’illumine.
« Connaître la singularité de chacun de mes athlètes me permet de me concentrer sur certains éléments que j’ai identifiés depuis longtemps, mais je dois en même temps décoller mon regard de mes habitudes. La question de la capacité des entraîneurs à se renouveler est un vrai sujet. La remise en question permanente est épuisante. C’est une obsession qui t’habite de jour comme de nuit. Tu t’arraches les cheveux…et ce stress peut parfois réellement impacter ta vie personnelle. »
La relation entraîneur-entraîné est d’abord une histoire de rencontre entre deux singularités, celle de l’entraîneur et celle de l’athlète. Guillaume me parle de ses athlètes en tentant de les caractériser, toujours avec douceur et empathie. Ses mots parlent autant de lui que de ses athlètes. Ils permettent d’accéder à son histoire, sa vision, ses valeurs et apprécier son rêve. Non pas d’édifier une ville et une tour de Babel1 pour défier les dieux, juste une médaille olympique.
1 La construction par les hommes d’une tour « dont le sommet touche le ciel » est interprétée par la tradition chrétienne comme un signe d’Hybris qui mérite le châtiment divin. Dieu intervient donc pour rappeler que sa propre puissance est supérieure à celle des hommes en les dispersant sur toute la surface de la terre.
Francis Distinguin
Conseiller Technique et Sportif Supérieur
Centre National d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu