A l’issue des JO 2021, Claude Onesta libère sa mauvaise humeur après les piteux résultats de la France à Tokyo. « Oui, il y a des fédérations qui représentent beaucoup de médailles aux Jeux qui ne sont pas au rendez-vous des résultats donc cela veut dire qu’il faut prendre des décisions, transformer, parfois changer certains acteurs. En détournant le regard, on ne fait pas le boulot. » lâche -t-il dans les médias (l’équipe du 13 septembre 2021). Après avoir exhorté les Bleus à partir «« à l’abordage » avant les JO, il admet que « Si on veut renverser la table, il va falloir faire autre chose aux JO 2024 ».
Notre Président Emanuel Macron ne dit pas autre chose « Le bilan global de ces Jeux d’été n’est pas tout à fait au niveau que nous attendions, a ainsi déclaré le Président de la République. Sur certains sports, il est même mitigé et on ne peut pas construire une réussite si on ne se dit pas les choses en vérité. » … Sans fixer d’objectif chiffré pour Paris 2024 mais en précisant qu’il voulait voir la France « dans le top 5 » du classement des nations. Ce qui supposerait de dépasser les russes qui ont raflé 71 médailles et globalement doubler le nombre de médailles d’or, d’argent et de bronze.
Lors de la création de l’ANS en 2019, Laura Flessel, Ministre des sports avait fixé à 80 médailles l’objectif de l’ANS pour PARIS 2024. Les acteurs du sport ont validé sans sourciller, sauf les connaisseurs, en coulisses. En octobre 2020 l’Agence Nationale du Sport publie AMBITION BLEUE qui établit un diagnostic et précise la stratégie qui sera mise en œuvre par l’ANS, en avançant du bout des lèvres l’objectif de résultat de la ministre en soulignant que l’objectif peut paraître excessif (???). La récolte Tokyo 2021 sera de 33 médailles (42 à Rio quatre ans auparavant) aurait soi-disant souffert de la chaleur et de l’humidité.
Le patient est souffrant et son médecin en chef semble à bout de souffle.
Même Teddy Riner émet des doutes sur la faisabilité de l’objectif annoncé du Président et lui répondra par média interposé « Tu veux que je te dise la vérité ? La France est une grande nation de sport… Maintenant, se dire qu’on va faire 90 médailles à Paris 2024, non, a déclaré le médaillé de bronze chez les +100kg à Tokyo. Il fallait investir massivement dans le sport déjà sept ans en arrière, confronter notre jeunesse à l’international. Alors, on pourra toujours se cacher derrière le coronavirus. »
« Une puissance supérieure me pousse à un but que j’ignore ; tant qu’il ne sera pas atteint, je serais invulnérable, inébranlable ; dès que je ne lui serais plus nécessaire, une mouche suffira pour me renverser. »
Napoléon Bonaparte
Adepte de la Méthode Coué, Claude Onesta tente de créer un électrochoc. Il cherche des profils d’entraîneurs flibustiers habitués à oeuvrer en des terres inconnues et parfois hostiles, à traverser les mers pour découvrir d’autres modes d’organisation, de management et de gouvernance.
Bien sûr la tentation est forte de les opposer à certains entraîneurs en pantoufle, ces entraîneurs dont les résultats sportifs, qu’ils soient bons ou mauvais, ne remettront pas leurs vies en jeu. Protégés par leurs contrats de bric et de broc ou par leurs statuts pour les plus privilégiés, la plupart de ces entraîneurs cultivent leurs jardins avec leurs moyens, à l’ombre des grandes révolutions. Pour certains, leurs constances, leurs silences, leur abnégations …au travail sera récompensée par une petite reconnaissance et par l’avancement au mérite. Pour les autres, isolés dans leurs clubs, ils se contenteront de rester au sol et de lever la tête pour observer le vol en escadrille de leurs collègues clonés dorés retenus à de plus hautes fonctions.
Pour certains, il faut aller chercher l’homme providentiel (ou l’athlète OVNI dont parlait récemment l’entraîneur de l’équipe de France de Rugby), ce soldat en service commandé, seul en mesure de nous aider à nous sortir du pétrin. Cette quête de l’homme providentiel en dit beaucoup de la vision des entraîneurs français par nos dirigeants. De toute évidence, ils ne croient plus au système d’organisation du sport français. Tiens j’ai une idée, il faut faire appel à des entraîneurs étrangers. « L’expert étranger ne doit pas être la solution permanente aux problèmes du sport français mais parfois, vouloir à tout prix rester en petit comité et toujours les mêmes ce n’est pas la garantie du succès. » Le message de Claude Onesta est redoutable en direction des entraîneurs français, d’autant que ces flibustiers sont aussi attirés par les sesterces (monnaie romaine dans Astérix) payées rubis sur ongle par l’état français, qui passeront sous le nez des entraîneurs français.
Comment identifier précisément les compétences d’un entraîneur ? La tâche est ardue. On pourrait s’aventurer à avancer qu’un entraîneur, à compétences techniques similaires, qui aurait opéré dans différentes structures, associatives et professionnelles, en France comme à l’étranger, serait plus à même de porter un regard différent et créer de l’innovation dans un nouvel environnement. Peut-être ! Alors, si en plus, leur parcours a été récompensé par des résultats sportifs significatifs à l’international, on tient là, notre perle rare qui nous sauvera de la Bérézina.
Observateur attentif des fédérations, il faut reconnaître, malgré tout, que cette démarche n’est pas dénuée de sens. Et oui, parce que ça se bouscule au portillon dans chaque fédération pour devenir Calife à la place du Calife. Force est de constater que les intérêts personnels et les ego priment souvent sur l’intérêt collectif. Les entraîneurs placés en haut de l’affiche auraient, paraît-il, tendance, à vouloir préserver leurs prérogatives en évitant que d’autres experts autoproclamés, puissent leur chiper la vedette et récupérer des sportifs à haut potentiel dans leur discipline. Donc, peu de coopération et de partage. Ce serait peut-être une réflexion à avancer à propos des résultats miséreux de la natation et de l’athlétisme aux Jeux Olympiques.
Certains entraîneurs charismatiques, un peu mercenaire sur les bords, …. ne joueront jamais le jeu, même s’ils affirment le contraire, d’un projet fédéral cohérent et ambitieux. Un entraîneur qui craint de se fragiliser en montant des barricades ne peut que se scléroser. C’est peut-être la vraie raison du choix stratégique d’Onesta, recruter des entraîneurs capables de parier et de jouer leur vie sur une mission déterminée dans le temps ; des entraîneurs qui ont construit leurs parcours sur la conviction que la performance ne peut se concevoir comme un objet figé mais comme un processus d’individuation qui se nourrit du sens.
LE SENS DU SENS
La mission d’Etude sur la Haute Performance dirigée par Claude Onesta affirme que « l’entraîneur parvient à donner du « sens » à son action ». Cette affirmation ne peut être validée de facto sans interroger les processus de légitimation qui amènent les entraîneurs à agir au quotidien, à procéder à des choix, à engager une stratégie orientée vers la performance. Cela nécessite également d’interroger les types de relations que les entraîneurs engagent au sein des différents champs scientifiques (anatomie, biologie, physiologie, psychologie, …) et leurs rapports à la vérité, mais également leurs conceptions éthiques et philosophiques de l’homme et de la condition humaine.
« Le sens » n’existe pas comme vérité, tant que ne sont pas interrogés les processus (les soubassements) sur lesquels les entraîneurs élaborent leur vision de la performance. Si le sens n’existe pas à priori, il est nécessaire que les entraîneurs se retroussent les manches pour le créer. Si le sens existe, d’où vient-il ?
Plutôt que de réduire la réflexion sur la performance au résultat, il conviendrait d’inviter les entraîneurs à se pencher sur ce qui fait sens pour eux (pourquoi ?) en les invitant à partager leurs expériences et leurs visions, et en les accompagnant sur des aspects essentiels de la performance qu’ils n’auraient pas vu ou négligé (du fait que le sens qu’ils donnent à leur pratique leur barre la vue).
Mais cela suppose de prendre un temps de réflexion, de « poser ses valises » pour interroger ses propres désirs, ses convictions et ses certitudes, son rapport aux sciences, ses contenus et méthodes d’enseignement.
Quelle conception a-t-on de l’homme ? C’est à partir de cette réflexion, au plus près des préoccupations des entraîneurs que la question du sens, de l’innovation et de la création, trouvera sa pertinence et son amplitude. Sans cela, aucune avancée n’est possible.
L’aventure d’un homme, sa vision de la performance au travers de laquelle il trouve le sens (un sens qui lui est propre) à sa démarche est le fruit de sa propre histoire et de ses représentations.
Affaire à suivre !