Athlétisme – Philippe Dupont, entraîneur de Mahiédine Mékhissi

Mahiédine Mékhissi

Tout entraîneur est d’abord un physique, une attitude et une voix. La performance de l’entraîneur (ses résultats) est pleinement liée à celle de l’athlète. La performance de l’athlète valide en retour la compétence d’un entraîneur. La base de la relation s’établit sur un capital de confiance mutuelle.

L’athlète reconnaît en son entraîneur un rayonnement, un certain charisme, une expertise, une parole, une vision, un capital sympathie…L’entraîneur identifie chez son athlète un désir, une écoute, une sensibilité, une énergie, des qualités… Une compatibilité, voire une attirance, est la condition nécessaire pour engager une relation de saine réciprocité et de complicité. Cela passe par le postulat que chacun puisse se réaliser pleinement dans la performance de l’autre. Analyser la relation entraîneur-entraîné exige de porter une attention aux phénomènes de polarité et d’attraction. En revenant à l’origine du verbe, il s’agit de s’accoupler, dans le sens ou un élément ne va pas sans l’autre, mais de pair avec lui, il trouve dans l’autre son répondant. 

Entretien avec Philippe Dupont, manager du ½ fond français, et entraîneur de Mahiédine Mékhissi.

Quelles sont vos fonctions au sein de la Fédération Française d’Athlétisme ?

Je suis le manager de l’ensemble des disciplines du demi-fond français: 800 m, 1500 m, 3000m steeple, 5000m, 10 000m et Cross-Country. Mon rôle consiste à élaborer le projet sportif de chaque athlète sur proposition des entraîneurs et définir les moyens et modes d’accompagnement souhaitables et possibles. En tant qu’entraîneur je m’occupe essentiellement de Mahiédine Mékhissi.

Philippe Dupont. Demi-finaliste des JO de Moscou en 1980 et multiple champion de France sur 800 m

Mahiédine Mékhissi est blessé depuis un moment. Comment cela se passe ?

La blessure est un moment où il faut être très présent, attentif, et positif. Mahiédine souffrait depuis longtemps d’une bursite au talon. Il s’est fait opéré au mois d’avril au Qatar. Tout s’est bien passé, mais 5 semaines après l’opération, il s’est récupéré d’une chute malencontreuse sur son pied opéré et affaibli, ce qui a aggravé la blessure et retardé le processus de rééducation.

Il aura fallu 4 mois de rééducation à partir d’avril, puis 3 à 4 mois de réathlétisation avec l’objectif de reprendre un entraînement quasi normal au mois de novembre.

Sa non-participation aux championnats du Monde de Pékin en août 2015 n’est pas un obstacle à sa participation aux JO sachant que les modalités de sélection prendront en compte les performances réalisées lors de la saison 2016.

Comment se gère le quotidien avec Mahiédine en période de reconstruction ?

L’entraîneur doit percevoir la nervosité, les inquiétudes de ses athlètes. Cela suppose une attention et concentration forte des entraîneurs pour déceler en permanence ces moments de fragilité. La qualité d’un athlète haut de gamme est sa capacité à encaisser physiquement et mentalement, notamment lorsque tu es confronté à l’échec, ou à la blessure. Mahiédine a surtout besoin d’être mis en confiance, car c’est un gars qui n’a pas eu un parcours facile et a ressenti beaucoup de défiance. C’est probablement ce qui l’a aidé à forger ce caractère fort, hors norme.

Quels sont les évènements qui l’ont marqué ?

Lorsqu’il gagne sa première médaille d’argent en 2008, sur 3000 steeple, Mahiédine estime, à juste titre, que sa performance n’a pas été éclairée à sa juste valeur par le monde de l’athlétisme et les médias. Le 3000m steeple n’est pas une discipline mise en lumière comme le 100m, et lorsque l’on s’entraîne comme lui, je comprends que cela soit un peu frustrant.

Mahiédine a grandi dans un quartier populaire de Reims où c’était un peu la loi de la jungle. Les français d’origine maghrébine baignent dans une culture où ils sont plus livrés à eux-mêmes et moins protégés du monde.

Il me faisait récemment la remarque par rapport à mon fils : « Tu ne devrais pas donner d’argent de poche à ton fils – ce n’est pas comme cela que l’on façonne un homme. La vie est un combat. ». Pas étonnant alors que le parcours de vie qu’il admire se situe dans le personnage, Mohamed Ali.

Mahiédine n’a pas la grosse tête mais a besoin de reconnaissance. C’est un garçon toujours sur le qui-vive, et pour bien bosser avec lui il faut créer un climat de confiance permanent. Je crois que c’est pour cela, que j’ai été immédiatement attiré par ce personnage généreux, tendre, et pudique.

Comment s’est passée votre première rencontre ?

Ma première rencontre avec Mahiédine et son coach de l’époque Zouir Foughali remonte à l’automne 2009 lors d’un camp d’entraînement au Maroc suite à ma nomination de manager du ½ fond français. Le courant est passé très vite.

Mahiédine arrêtera sa collaboration avec Zouir Foughali en mars 2010, et commencera une nouvelle aventure avec Farouk Madaci qui durera jusqu’en octobre 2012. Après quelques semaines d’errance (entraînement seul), nous convenons de travailler ensemble à partir de fin 2012.

Mahiédine a besoin de temps pour comprendre l’autre. Au départ, il se méfie toujours. Il est comme une huitre un peu fermée. Si tu y vas doucement c’est facile, mais si tu es brusque, la coquille s’écaille et l’huitre se referme de suite.

Ensuite vous avez commencé à travailler ensemble.

Oui, mais le préalable était de bien définir des objectifs, une stratégie et des règles. Pour moi, il y a trois types d’entraîneurs. Les entraîneurs dirigistes avec lesquels il n’y pas ou peu de discussion, les entraîneurs qui attendent que l’athlète leurs dise ce qu’ils doivent faire, et puis les entraîneurs qui organisent et partagent leur projet avec l’athlète. Je pense qu’un entraîneur doit faire preuve suffisamment d’autorité au regard de ses connaissances, de son expertise, et de son charisme. L’athlète accepte de suivre les options de l’entraîneur parce qu’il a confiance en lui, et qu’il ne peut pas tout gérer.

Comment gérez-vous la charge d’entraînement ?

Au-delà de l’aspect technique, l’entraîneur de demi-fond se pose toujours la question de savoir si l’athlète doit en faire plus et moins vite ou plus vite et un peu moins. Les données théoriques sur la physiologie sont une chose, mais il est toujours nécessaire d’ajuster l’intensité et la charge d’entraînement en fonction de l’athlète. Mahiédine saisit très bien l’intérêt du respect des équilibres dans la charge d’entraînement, mais son caractère bien trempé l’amène trop souvent à être extrême, dans les intensités. Mon rôle est de le canaliser.

Dès le printemps, Mahiédine Mékhissi dépose ses valises sur la plateau de Cerdagne pour préparer ses grandes échéances internationales

La communication verbale entre un entraîneur et un athlète est toujours un peu compliquée, car chacun ne met pas le même sens derrière chaque mot.

Oui, c’est aussi pour cela que je travaille le plus possible avec la parole, mais c’est un des aspects sur lequel on doit encore progresser car il est important, à ce niveau, qu’il exprime ses sensations. Lorsque je l’interroge sur ses sensations de course, la conversation ne peut se limiter à « dur ou pas dur, douloureux ou pas douloureux ». Mahiédine a tendance à garder les choses et ne pas les formuler. On échange également beaucoup avec le regard.

On échange beaucoup avec le regard. Mahiédine Mekhissi

Est-ce que dans le cadre de l’accompagnement du sportif, vous vous appuyez sur des psychologues ou préparateurs physiques ?

Avec Mahiédine, je n’ai recours ni à un préparateur mental, ni à un préparateur physique. Je ne cherche pas une expertise permanente qui me dégagerait de mes responsabilités. Je suis d’abord dans l’humain. Après, je suis toujours en quête d’amélioration de mon expertise avec des savoirs d’autres horizons.

Ainsi, à titre personnel, j’ai fait appel à une psychologue (spécialisée dans le domaine sportif) pour m’aider à mieux comprendre les paroles, les messages de mes athlètes ainsi que mes réactions.

« Pourquoi, il me parle comme ça ? Pourquoi il m’écrit ça ? ; «  Ce type de comportement de l’athlète me fait réagir comme cela…est-ce que c’est normal ?».

Pour bien interpréter les mots, il est nécessaire de comprendre celui qui prononce les mots, le sens de ses mots à lui, et non pas la façon dont je les reçois. L’interprétation renvoie à la prise en considération de l’aspect culturel de l’un et de l’autre.

Pourquoi, de votre point de vue, Mahiédine Mékhissi est-il un athlète exceptionnel ?

Au-delà de ses qualités physiques, Mahiédine a démontré à plusieurs reprises une détermination et un tempérament hors du commun.

Il avait fait le pari aux Championnats d’Europe 2014 de doubler le 3000m steeple et le 1500m pour notamment démontrer ainsi à ceux qui le cataloguaient comme coureur de steeple qu’il était d’abord un coureur de ½ fond complet. Son rêve s’est brisé à l’issue d’un 3000 steeple, remporté haut la main. Deux heures après sa victoire, il apprend sa disqualification pour avoir enlevé son maillot avant la fin de la course. Là, il prend un énorme coup sur la tête et a été très affecté par la médiatisation de cet incident qui a amené de nombreux commentaires de gens qui balançaient tout et n’importe quoi à son propos, alors que pour lui, c’était seulement une façon de manifester sa joie.

Là, c’était une situation très compliquée à gérer en tant qu’entraîneur. Envahi par ses émotions, il avait besoin de se retrouver seul. Je craignais un peu qu’il plie bagages et renonce au 1500m dont les séries étaient prévues le lendemain matin. Tard dans la soirée je lui ai dit juste ces quelques mots : « Mahiédine, après tout le travail que tu as accompli cette année, tu ne vas pas rentrer de ces championnats d’Europe sans rien, sans médaille. Mahiédine, tu ne lâches rien ».

Soutien de Philippe Dupont auprès de Mahédine Mékhissi effondré après son élimination sur le 3000 steeple.

J’ai senti en quelques secondes la flamme se rallumer dans ses yeux et l’envie renaître. Malgré tout, la nuit sera longue pour lui. Le lendemain matin, les traits tirés de celui qui a passé une nuit blanche, Mahiédine se présente au départ des séries du 1500m au cours desquelles il se qualifie au forceps dans une dernière ligne droite, pleine de hargne et de courage.

Ensuite, chose incroyable, il a complètement « switché » dans sa tête. L’incident était derrière lui, il était tourné vers le futur et cette nouvelle finale qui l’attendait 48h plus tard. Le passé n’avait plus aucune prise sur lui. Je n’en reviens toujours pas de cette démonstration de force mentale.

Il s’est mis dans sa bulle pendant la journée de repos et à son retour sur le stade pour la finale, il affichait une force, une sérénité étonnante. Il remportera le titre européen du 1500m avec brio, culot, bluff : une course géniale, pleine de maîtrise et de panache, la Course qu’il devait gagner pour ne pas rentrer bredouille.

Letzigrund (Zurich). Trois jours après sa disqualification sur 3000m steeple, Mahiédine Mékhissi s’est racheté en s’imposant haut la main sur le 1500 m. (AP/Petr David Josek.)

Battre les kenyans est son obsession. La différence de gabarit, plutôt de « morphotype » des africains ne serait-elle pas un facteur limitant pour remporter un titre mondial ?

Oui, il veut défier les kenyans. Il s’est très souvent mesuré à eux. Il sait que leur succès réside, en partie, dans le fait qu’ils s’entraînent ensemble et qu’ils sont capables de se sacrifier les uns pour les autres. La difficulté pour lui, est de répondre individuellement à une vraie force collective. Pour moi, la question du morphotype n’est pas pertinente.

Mahiédine est effectivement différent de ses concurrents africains mais son gabarit (1m 90) et ses grandes jambes lui permettent une foulée plus ample et des passages d’obstacles moins coûteux. Enfin Mahiédine n’aura pas que les kenyans à ses trousses. Il y aura également le jeune américain Ewan Jeager, qui tourne à un peu plus de 8 minutes dans les temps de Mahiédine.

Les récentes révélations de journalistes sur de nombreux prélèvements positifs, non révélés par l’IAAF, créent un climat de suspicion permanent sur le monde de l’athlétisme.

Mahiédine est très vindicatif par rapport au dopage. « Plutôt que de jeter l’anathème sur l’athlétisme, donnez les noms dans les journaux, punissez durement les tricheurs… ». Il vit parfois les questions comme de véritables agressions. Lorsqu’on lui demande s’il s’est dopé, il préfère rompre toute discussion plutôt que de se plonger dans la colère.

Des athlètes de dimension internationale comme Moh Farah, Paula Radcliffe, Genzebe Dibaba, Mahiedine Mekhissi…, viennent également s’entraîner à Font-Romeu. Certains ont même acheté des appartements car ils séjournent ici une bonne partie de l’année.

Je viens à Font-Romeu depuis 1980 lorsque je m’entraînais comme athlète. L’environnement est magnifique. Ce lieu constitue un excellent compromis entre l’altitude, le paysage, les différents dénivelés,… La plupart des athlètes viennent ici à la fin de l’hiver, entre avril et août. Le monde du demi-fond se déplace sur différents sites en fonction de la saison, du climat…

Globalement, on se retrouve sur 3 ou 4 structures d’entraînement en Altitude dans le monde mais de nombreux pays commencent vraiment à investir pour pouvoir nous accueillir. Colorado Spring dans le Colorado -1900m ; Potchefstroom en Afrique du Sud – 1500m ; Albuquerque  au nouveau Mexique (USA) -1800m ; le CAR en Sierra Nevada (Espagne) -2300m.

Mahiédine Mékhissi remporte à Göteberg les championnats d’Europe Indoor 2013 sur 1500M.   De quoi faire rêver son entraîneur Philippe Dupont,d’une salle d’athlétisme Indoor en Altitude au CREPS/CNEA de Font-Romeu. Une première mondiale !!!

La présence des stars du demi-fond est un atout pour l’image de Font-Romeu, la bouche-à-oreille drainant d’autres athlètes, mais aujourd’hui ils ne viennent pas pour le stade mais pour l’altitude. La piste dure et usée sollicite énormément les tendons et des aménagements sont nécessaires pour répondre à l’attente de sportifs professionnels. Le must serait une piste couverte. Il serait bien également de pouvoir aménager un parcours plutôt plat sur des distances de 2 ou 3 km, car quand je vois Mo Farah faire 50 tours de pistes, c’est long ennuyeux,…On viendrait plus souvent et plus longtemps…avec d’autant plus de plaisir.

Francis Distinguin

Conseiller Technique et Pédagogique Supérieur

Centre National d’Entraînement en Altitude

CREPS/CNEA Font-Romeu

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