Axel Reymond – 4500 km de natation par an pour une médaille olympique

A 20 ans, un jeune français Axel Reymond prend la médaille d’or aux championnats d’Europe 2014 des 25 kilomètres en eau libre. A l’issue d’un séjour de 3 semaines au Centre National d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu, Axel vient de remporter sa première Coupe du Monde sur 10km à Abou Dabi, s’affichant ainsi comme un sérieux prétendant de la natation française aux JO de RIO 2016. Rencontre au sommet avec son entraîneur Magali Mérino .

Rappel : 25 km des Championnats du monde en eau libre à Barcelone en 2013. Axel Reymond, un jeune albatros de 19 ans d’1,93 m pour 80 kg prend rapidement la tête devant l’Américain Alex Meyer (champion du monde 2010), lequel refuse de coopérer. A la borne 18, son échappée solitaire et suicidaire prend fin. Axel se fait avaler par ses poursuivants pour terminer à plus de 6’ du vainqueur à une décevante 20ième place. Un enterrement de première classe. Quant à l’américain, il échoue au pied du podium, à un dixième de seconde. Bien fait  !!!

Un an plus tard…25 km des championnats d’Europe 2014 à Berlin. Dès le départ, Axel se fait la belle en compagnie d’un russe expérimenté E Drattsev avec lequel il va collaborer en se relayant avant d’allumer la mèche à 400 mètres de l’arrivée. Axel remporte sa première grande compétition internationale laissant le russe à 13 secondes et le peloton à 9 minutes 18 secondes. La France tient enfin un grand champion capable de décrocher l’or aux JO de Rio 2016.








Disciplines olympiques depuis 2008 sur les distances de 10 km et de 25 km, le temps de course en eau libre correspond à un marathon (42 km) pour les 10 km (environ 2 heures) de nage ; et à une course à pied de 80 km pour les 25 km (environ 5 heures) de nage. La gestion de l’effort, l’hydratation, l’apport énergétique sont des paramètres cruciaux pour tenir la distance ; mais également la tactique de course demande beaucoup d’expérience pour se placer dans les bonnes échappées et éviter les coups.

Les nageurs sont également tributaires des conditions environnementales. Température, viscosité, transparence de l’eau, courants, clapot, vagues,… varient d’un site de compétition à l’autre. Algues, méduses, billots de bois, cadavres de chiens…constituent autant de rencontres improbables.

Et puis, ça joue des coudes, ça frite, ça pousse, ça bloque, ça flingue au cœur du peloton. L’idéal est de coller un leader, à portée de flanc, pas trop près pour ne pas prendre les turbulences ou quelques gifles perdues, pas trop loin pour rester dans sa vague et se laisser aspirer.     Il est nécessaire à chaque fois de prendre des bons repères pour ajuster sa course en évitant lever trop souvent la tête et de s’écarter du peloton, sauf à prendre le risque de partir devant.

Axel possède une palette de qualités étonnantes

D’abord un VO2 maximal de 89ml/minute/kg, ce qui constitue une aptitude exceptionnelle. Cette donnée mesure sa capacité de consommation d’oxygène à haute intensité. Plus ce paramètre est élevé, plus l’athlète va retarder l’apparition d’acide lactique en comparaison d’autres sportifs à même intensité, lequel constitue un facteur limitant de la performance.

Pour accélérer au finish, se débarrasser d’adversaires, casser une course, imposer un train, la nage en eau libre exige aujourd’hui des capacités de vitesse sur toutes les distances. Oussama Mellouli, double champion Olympique qui remporte les JO de Londres au 1500m et au 10 km en eau libre a montré qu’il fallait être capable d’aller vite en bassin pour prétendre jouer le titre olympique.

Avec des temps de référence de 54s au 100m, 3’54s au 400m, 7’58s au 800m et 15’18s au 1500m en bassin de 50m, Axel est un nageur, un excellent nageur. A portée d’Oussama dont la vitesse sur 1500 m est de 14’50s.

Mais doté d’ un VO2 max aussi élevé, il peut battre des concurrents plus rapides en imposant un rythme suffisamment soutenu pour les obliger à puiser dans leur filière lactique. Un travail d’usure qui lui permet de se débarrasser progressivement de ses adversaires par injection létale d’acide lactique.

Axel nage depuis l’âge de 8 ans avec Magali Mérino[1] laquelle a été nommé entraîneur national de l’Equipe de France en 2012.

« En 2014, Mes nageurs et moi somme partis du club de Savigny Le Temple pour rejoindre le cercle des nageurs de Fontainebleau, lequel bénéficie d’un magnifique bassin de 50 mètres ouvert depuis septembre. Les conditions d’entraînement et le soutien du club sont ici bien plus favorables que lorsque nous étions à Savigny Le Temple. La municipalité de Savigny Le Temple nous aidait bien mais le club n’avait aucune vision ni culture du haut-niveau. De toute évidence, c’est un des problèmes récurrents du sport français. »

Dès lors, comment se pencher sur les performances d’Axel sans associer Magali ?

Les performances d’Axel sont ici bien réalisées « ensemble » (avec son entraîneur). Cet ensemble suppose un accord entre les éléments, les faisant communiquer et échanger entre eux. Dès lors, ce qui fait performance ne se limite plus à ses déterminants physiques, mais opère par une mise en tension, sous tension entre l’entraîneur et l’entraîné, condition pour créer de l’avènement et sortir de l’inerte.

Ellsworth Kelly – Artiste Américaine – (Dark Green Curves), 1976

Cette tension s’organise en polarité dont nous, observateurs attentifs, n’avons pas accès. Les ressorts de leurs relations ne se livrent pas à la lumière. Le caractère bien trempé de Magali, son perfectionnisme et son exigence au travail rappelle un certain Philippe Lucas, entraîneur controversé dont l’égérie Laure Manaudou remporta notamment la médaille d’or aux 400m des jeux Olympiques 2004 à Athènes.

Toute relation entraîneur–entraîné exige assemblage, accouplement. Non le terme est trop connoté. Disons appariement.

Une assertion qui souligne une certaine proximité, dans le sens où Philippe Lucas, à l’instar de Magali avec Axel, a su créer et entretenir avec Laure cette forte relation, cette tension, cette polarité à même d’aider le sportif à se révéler.

Axel est plutôt de tempérament curieux, enjoué, avenant, tout en étant casanier et solitaire. Le monde est dans ses rêves. Il doit en avoir des histoires à se raconter pour s’avaler tout sourire un programme aux petits oignons concocté par son entraîneur à raison de 4500 km par an d’entraînement, à raison de 20 km par jour de natation sans compter les 4 séances hebdomadaires de préparation physique, les séances de récupération (massages, bains froids) et de musculation respiratoire[2].

Bien qu’il dispose de qualités incroyables, Axel s’entraîne plus que ses concurrents confirme Magali. Dans ces épreuves de très longue durée, l’alimentation est très importante. Axel prend des protéines, du lait et de l’eau fortement minéralisée (Vichy St Yorre) dans les trentes minutes qui succèdent l’entraînement. Au niveau hydrique, il boit entre 4,5l à 6,5l d’eau par jour en dehors des repas ; et s’offre une sieste d’une heure quotidienne.

Bien entendu, ce n’est pas évident à 20 ans de passer son temps dans les bassins, mais Axel sait ce qu’il veut et positive toute situation. Bien que l’on soit très souvent ensemble, chacun s’efforce de préserver son intimité et son espace privé. Notre relation s’est construite dans le temps dans le respect et la compréhension mutuelle. Axel était plutôt un peu agité lorsqu’il était tout jeune. Il avait plutôt un profil hyperactif. Avec la charge d’entraînement qu’il avale chaque jour, Axel ne fait plus des bonds partout. 

Illustration by Patrick Svensson

Toute relation entraîneur-entraîné est singulière. Elle consacre une rencontre entre deux histoires, celle d’un entraîneur et d’un athlète. Cet « entre » est le lieu de cette mise en tension où s’élabore la performance. Se pencher sur l’« entre » suppose de faire disparaître « le sujet-entraîneur » et « l’objet-athlète ».

La mise en tension commence par la capacité de l’entraîneur à renouveler son regard.

Comment ne pas somnoler sur le bord d’un bassin lorsque son nageur enquille 400 longueurs de bassin par jour ?

Si l’on s’endort sur l’autoroute, c’est d’abord parce qu’on est plus tenu en élan, par du paysage activé par ses variations, avance François Jullien[3] à propos du paysage. Lorsqu’il y a répétition stérile d’un geste technique jusqu’à saturation, la monotonie s’installe et l’œil de l’entraîneur s’endort. Il faut rechercher des « ombres » au tableau qui, par le contraste qu’elles introduisent fassent ressortir les couleurs. Je ne vois pas tout, mais je vois de suite lorsqu’il nage mal précise Magali. Les « défauts » d’Axel introduisent un écart interne, une variation, une modification de sa nage qui saute aux yeux de l’entraîneur. On ne peut pas faire « du monde », autrement dit « de la performance » avec « du même ».

Après un petit séjour de trois semaines au Centre National d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu où il a avalé sans broncher 365km de carreaux à glisser sur l’eau, Monsieur Axel Reymond remporte sa première coupe du monde sur 10 km à Abou Dabi.

Francis Distinguin – Conseiller Technique et Pédagogique Supérieur

Centre National d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu

[1] Magali draine également dans son sillage Charline Sécrestat, une prometteuse nageuse de 16 ans qui a remporté les championnats de France senior femme sur 5 kilomètres en 2014.

[2] Spirotiger

[3] Vivre de paysage ou l’impensé de la raison. François Jullien. Editions Gallimard 2014.

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