J’AVAIS BIEN MILLE VIES  ET JE N’EN AI PRIS QU’UNE !

« J’avais bien mille vies et je n’en ai pris qu’une » est le titre d’un livre du philosophe Allemand Cees NooteBoom

Elodie Clouvel et Valentin Belaud, pentathlètes français au palmarès éloquent, décident, à l’issue des JO de Rio 2016, de larguer les amarres. Besoin de se ressourcer et de créer leur propre équipe pour conquérir le graal olympique. Besoin de « brûler l’enclos », pour reprendre une formule de René Char, est une condition nécessaire pour pousser plus loin, secouer le figé et l’assis, réveiller, le corps, la pensée, la langue, et s’emparer du monde. 
Mais une fois les choses dites, il faut se mettre au travail, à l’ouvrage. La performance n’est pas un décor, quelque chose de gentiment bucolique, mais un jaillissement dans lequel la performance puise son souffle et son énergie. La performance ne se contemple pas de loin, ce n’est pas un lieu de promenade, elle s’habite. Ce travail au long cours exige du temps, de la patience, de l’obstination et des convictions. Leur route sera semée d’embûches. Ils savent qu’ils jouent leurs vies. La performance trouve son accomplissement dans la traversée de l’abîme en équilibre sur une corde. 


Leur projet, leur vie ne tient qu’à un fil. La chute menace à tout moment. Pas question de s’arrêter, de s’immobiliser, de revenir en arrière. C’est une histoire d’acceptation de sa propre fragilité et une épreuve de solitude. L’histoire de la condition humaine. Se demandant sans cesse comment leus performances pourraient devenir ce qu’elle n’est pas encore, nos deux aventuriers, en poussant toujours plus loin la question et la recherche de sens, ont bien perçu la nécessité de s’entourer d’une équipe compétente et loyale pour les accompagner dans leur projet. Il fallait s’assurer que tous les équipiers partagent les mêmes valeurs et valident le mode de gouvernance qu’ils souhaitaient instaurer.
Leur entraîneur référent Sébastien Deleigne fut le premier appelé à la barre. A la même période, ils ont fait une mauvaise pioche en s’approchant de Tullius Detritus, le semeur de zizanie dans Astérix et Obélix, obscur personnage qui a failli faire exploser leur couple et leur projet… 

Elodie Clouvel :
On avait bien conscience de l’importance de nous appuyer sur les bonnes personnes pour nous accompagner dans cette aventure. Mais je me suis fait avoir à accorder ma confiance à une personne malveillante et j’ai pris un terrible retour de bâton. Heureusement que l’on nous a aidé à ouvrir les yeux.

C’est quoi une personne malveillante ?

Valentin Belaud : 
Un entraîneur qu’on a dû dégager qui nous a manipulé, volé de l’argent.

Elodie Clouvel : 
Violé psychologiquement.

Valentin Belaud :
Moralement

Elodie Clouvel : 
Je lui ai donné tout à ce type.

Valentin Belaud :
C’était une connaissance des parents d’Elodie mais ils ne le connaissaient pas bien.

Elodie Clouvel : 
Un gourou qui pouvait faire ce qu’il voulait de moi. 

Valentin Belaud : 
La France reconnait le viol physique mais pas encore psychique.

Pourquoi t’es-tu fait avoir ?

Elodie Clouvel : 
Ma nature était de faire confiance. J’étais à une période de ma vie un peu compliquée à l’issue des JO de Rio. Il s’est présenté un peu comme un sauveur. 

Valentin Belaud : 
C’était un pompier pyromane. 

Elodie Clouvel : 
Il a commencé à remettre en question notre entraîneur, ma relation avec Valentin… Il me faisait comprendre que je ne pourrais jamais réussir sans lui, créant ainsi une situation de dépendance

Valentin Belaud : 
Il travaillait avec une machine qu’il avait inventée. 

Elodie Clouvel : 
Magnétothérapie (???), avec des aimants, des fréquences…

Valentin Belaud : 
Oui un truc qui n’existe nulle part ailleurs. 

Elodie Clouvel : 
Sans lui, je n’étais rien, me disait-il.

Valentin Belaud : 
J’ai suivi Elo, confiance les yeux fermés, car c’est quelqu’un que j’aime. J’y vais, on y va.

Elodie Clouvel : 
Ma psy m’a dit que je n’y étais pour rien – Juste une mauvaise rencontre.

Valentin Belaud : 
Ce n’est pas pour autant que je vais être plus méfiant, suspecter des malveillances chez tout le monde. Ce n’est pas ma nature.

Elodie Clouvel : 
Je ne renonce pas non plus à ma générosité. En revanche, maintenant, je suis en éveil. Les personnes avec une telle noirceur intérieure, je pense maintenant être capable de les repérer.

Valentin Belaud : 
C’est notre couple et notre psy qui nous ont sauvé de ça. J’ai travaillé avec Meriem Salmi parce que je n’avais plus de solutions. Je savais que je ne pouvais pas bouger, sinon je jouais mon couple. J’étais dans une telle manipulation que si j’arrêtais ma collaboration avec ce type, je niquais mon couple. Je suis allé voir la psy en premier. J’avais dit au gourou que je ne voulais plus travailler avec lui, j’ai dit à Elo : « Tu vas voir, il va cracher sur ma gueule, balancer sur moi … » Et c’est ce qu’il s’est passé. A partir du moment où j’ai compris que c’était un manipulateur, ses propos, son comportement étaient devenus lisibles. 

Elodie Clouvel : 
Il nous montait contre Seb, il nous séparait de nos parents, de nos amis… La manipulation, une fois que tu es pris de dedans, c’est compliqué et le travail avec Mériem a été magnifique. Quand je suis allé lui dire les choses en face, il a fait du déni en me traitant de menteuse. Il était redoutable quand même. Dans ses propos, il y avait toujours un brin de vérité. 

Valentin Belaud : 
Du style qu’il connaissait et qu’il avait vu Obama… sans nous dire que c’était à la télé. C’est facile de se faire prendre au piège. C’est horrible de faire ça.

Elodie Clouvel : 
Aujourd’hui tout cela est dernière nous. Au final, cela nous aura rapproché. Nous sommes récemment intervenus à l’INSEP pour mettre en garde, et éviter que cela se reproduise.

Valentin Belaud : 
C’est du passé pour moi, mais on ne va pas lâcher. Ce gars devrait être interdit de pratiquer. Pas pour moi, mais pour les autres. Il ne s’agit pas non plus de dire qu’il faut un diplôme précis pour accompagner les sportifs, ce serait se passer de trop de savoirs. Par contre, il est nécessaire de créer une vraie cellule avec des psychologues… mais c’est vrai que c’est complexe. D’autant plus qu’il y a de l’argent qui arrive… 

Après plus d’un an de manipulation… Tullius Detritus sera jeté par-dessus bord. Le climat apaisé, la sérénité retrouvée, nos voyageurs reprennent alors leur route au long court. 

Valentin Belaud :
On a fixé des règles claires. Nos entraîneurs travaillent avec ce que l’on est. Ils viennent vers nous, sans vouloir nous changer, juste pour être conformes à un quelconque modèle. On n’a pas vraiment choisi nos entraîneurs en fonction de notre approche, c’est plutôt eux qui ont évolué en adhérant à notre façon de voir les choses. Nous n’avons pas de schéma figé. Ils nous proposent quelque chose, on échange, on ajuste…

Elodie Clouvel : 
Bref, on évolue ensemble. Pour qu’une dynamique positive puisse s’enclencher, il est essentiel que le staff s’appuie sur un socle partagé de valeurs, des règles de fonctionnement validées ainsi qu’une stratégie bien comprise par l’ensemble des acteurs. C’est par l’échange et la discussion que ce projet a pu être progressivement élaboré. L’objectif n’est pas de penser comme un seul homme parce qu’il faut laisser la place au travail du doute, où les avis des uns peuvent différer des autres et amener à d’autres propositions plus innovantes. C’est difficile de dire « non » quand on s’oppose au plus grand nombre. 

Réciter dans un même groupe les slogans qui nous galvanisent, c’est éclairer le monde, renforcer nos certitudes et éviter de perdre l’affection des autres. C’est tellement agréable de se laisser porter sans avoir à penser ni juger, juste à obéir. La liberté de pensée est une épreuve angoissante parce qu’elle isole et risque de provoquer le rejet des autres… 
C’est souvent une histoire d’ego, les entraîneurs défendent des forteresses… Ils sont là et se barricadent. Et lorsqu’on tente juste d’échanger avec eux, c’est parfois impossible parce qu’ils refusent d’avoir le sentiment de se fragiliser. Un bon entraîneur doit être capable de se fragiliser et être capable d’entendre ce NON-là, ne pas le voir comme un NON d’opposition. Cela dit juste : « Je ne vois pas où tu veux aller, est-ce qu’on peut voir les choses différemment ? »

Valentin Belaud :
Ce NON est crucial en fait. Dans un couple, partout… Il est toujours intéressant de construire sur le NON. Ce n’est pas un NON de posture, qui oppose et qui éloigne. C’est un NON qui doit rapprocher parce que tu prends le temps et tu oses dire le NON sur lequel tu as beaucoup réfléchi. Il s’inscrit dans une envie de progrès. Aujourd’hui, nos entraîneurs acceptent notre NON ce qui n’était pas le cas auparavant. C’est pour cela que nous avons développé notre truc. Le NON, pour nous, n’a pas pour objectif de rentrer dans un conflit. Il faut le voir comme un échange d’idées. Parfois, j’aime ne pas être d’accord avec quelqu’un. Parce que ça va nous pousser à creuser l’idée, sans que cela soit un combat.

Elodie Clouvel : 
Oui on sait ce que l’on veut. On ne vient pas ici à Font-Romeu pour faire les commandos de Montlouis, comme le font souvent les équipes de rugby et de sports de combat pour démontrer que l’on est capable de mobiliser nos ressources en situation de grande difficulté. Moi, j’ai besoin de savoir à quoi ça sert. 
Si le défi consiste à s’épuiser juste pour montrer que l’on en est capable, je ne vois pas l’intérêt de ce type de proposition.

Valentin Belaud :
Je n’ai pas besoin de me rajouter des contraintes aux contraintes dans la vie de tous jours. On a surtout besoin d’acquérir des compétences. Et lorsque l’on a pu me dire : « aujourd’hui, c’est commando », je répondais par une boutade « non mais moi, je suis une Ferrari. J’ai besoin d’avoir la température idéale au moment où je le veux. »

Ni Ferrari, ni Diva. Il est probable que Valentin et Elodie aient pu, parfois, passer pour des rebelles en remettant en question certains propos, interventions ou choix stratégiques de leurs entraîneurs. D’autres ne se posent plus de question. Obéissants, ils suivent les directives. A la fois, acte de résistance et affirmation d’eux-mêmes. 

Elodie Clouvel : 
Quand l’entraîneur propose quelque chose qui sonne faux. Il faut dire : « Non là, ce n’est pas bon, on n’est pas en phase ». J’ai besoin d’être en phase. C’est une harmonie à trouver, quelque chose de l’ordre de la résonance. 

Valentin Belaud :
Pour chaque entraînement, je veux savoir. Si ce n’est pas clair, je ne fais pas l’entraînement. Je ne suis pas et ne veux pas être spécialiste, mais j’ai besoin de comprendre pour adhérer.
J’ai besoin d’un thème à mes séances : « C’est plaisir aujourd’hui »… Au début, même Sébastien n’était pas à l’aise avec ces notions. « Mais non, cela ne se fait pas en natation ». Eh bien pour moi oui. Je sais que lorsque j’arrive le vendredi fatigué et sans énergie, peu importe le contenu de la séance mais le mot c’est « plaisir » et on se met d’accord sur ce mot. C’est à partir de ce mot que la séance va se construire et tout va découler.

Elodie Clouvel : 
Pour nous ça change tout, on a fait cinq bornes, on est content, on est fatigué, on a le smile. Avoir pris du plaisir ne dit pas que nous n’avons pas travaillé.

Valentin Belaud :
On travaille tout le temps, on n’a pas besoin de se dire qu’on travaille, c’est bon !

De nombreux sportifs sont obéissants, gentils, dociles, soumis… et acceptent d’être pris en main par le système sans s’écouter. La promesse du graal olympique les tient en laisse et ils sont nombreux à ne rien décider de leurs vies. Les entraîneurs, les systèmes adorent ces profils qui ne contestent rien… Dans le cas contraire, ils prennent le risque de s’exclure d’eux-mêmes. Mais pour être dans la vie, et dans la performance, il faut exister. On parle d’autonomie, mais on ne donne pas les moyens aux athlètes d’exister en tant qu’individus à part entière.

Valentin Belaud :
Dans le choix de nos entraîneurs, on a besoin de gens qui s’incarnent. Et j’ai tout le temps besoin de m’entourer de gens qui existent. Tout le temps, en permanence, et je fuis les autres, ceux qui sont inanimés et qui te prennent de l’énergie. J’ai besoin de rencontres et d’échanges pour avancer. Et ces personnalités qui incarnent des choses, qui ont leurs valeurs, même si je ne partage pas leurs points de vue ou ce qu’ils font. Mais ce n’est pas grave, ils ont des valeurs et mon respect. 
Le point commun de nos entraîneurs est qu’ils sont tous passionnés. Un bon entraîneur pour moi est un type que tu vois le matin et qui te donne le sourire. Et il n’y a aucun code là-dessus. Il n’y a rien d’écrit. Il arrive avec ce qu’il est, avec un groupe, en deux secondes il perçoit le moment qui se passe et trouve les bons mots, la bonne attitude. En fait, on s’en fout de ce que l’on va faire derrière, mais ce moment est clé. Ils sont là, pleinement vivants, dans l’instant. Et si tu arrives avec tes problèmes… tu déposes tes valises et boum c’est parti. Ce n’est pas toujours facile d’autant que c’est impalpable. C’est hyper fin, et c’est une force dans l’entraînement. C’est comme dans le milieu professionnel. Quelqu’un va entrer dans une pièce, et de suite il va y avoir une ambiance… il va enlever les pesanteurs en invitant chacun à déposer son sac de problèmes au vestiaire et passer un bon moment, un moment unique.
En cela, notre vie est hyper dure et les gens ne le voient pas. Créer les conditions pour que tout le monde avance en même temps. Alors que paradoxalement, on n’a pas de contraintes, on est libre. C’est plus fin. Il est important que nos coachs avancent à notre rythme, parce qu’au final, c’est nous qui allons faire la compétition.

Au-delà des compétences des uns et des autres, ce qui est particulièrement symptomatique est qu’une certaine vision de la performance soit privilégiée. En toile de fond, il y a bien une question qui relève fondamentalement du sens et de l’éthique. Et cela renvoie à un certain art de vivre pour aborder sans entrave, en toute liberté, la performance. Votre approche porte en elle un sens aigu du fondamental. Mais, c’est impossible de s’affranchir d’une organisation quelle qu’elle soit. Le danger est d’instaurer une nouvelle organisation pyramidale dans laquelle vous seriez les uniques prescripteurs. Comme dans toute organisation, vous allez vous heurter aux questions de positionnement et de légitimité des uns et des autres en fonction de leurs statuts et de leurs expertises. Comment créer un espace de partage et d’échange sur la performance, sur la création d’une oeuvre, sur la vie… sans éradiquer la vie ? C’est peut-être la raison essentielle qui a amené Sébastien Deleigne à relever ce défi. Votre démarche exige de chacun qu’il soit en mesure de poser ses valises et de se fragiliser. 

Elodie Clouvel : 
Exactement, je sais que ce n’est pas facile pour tous nos entraîneurs (cinq disciplines). Sébastien par exemple qui est toujours avec nous, on peut parfois le faire douter, le fragiliser. Genre, on est là, il a prévu un truc et au dernier moment on lui dit. « Bon, mais non… en fait on veut faire autre chose. » et généralement, il nous suit à fond. Mais ça le fait flipper quand même. On y arrive parce qu’on communique beaucoup. On discute de tout.

Valentin Belaud :
Le pire c’est qu’il n’y a pas de vérité là-dedans. Ce que Séb a proposé, il l’a réfléchi, donc c’est bon aussi. Dans le sport, il n’y a pas qu’une seule réponse, il y en a plein. Il n’y a alors que le dialogue qui permet d’opérer des rapprochements de points de vue et de prendre les meilleures décisions.
Sébastien, on l’a récupéré avec son passé. A un moment donné, il n’a pas pu s’exprimer comme athlète et on lui a fermé des portes. Dans le sport, on valorise toujours le mec qui s’est battu. C’est ça qui est bien. Pour moi, c’est triste en fait. Il faut remettre en cause le système. Pourquoi cette personne s’est battue pendant vingt ans. Cela l’a endurci, il est devenu dur avec lui-même, mais la vie n’est pas seulement cela. Du coup, en 2016 quand on lui a proposé notre schéma, il est reparti sur son histoire personnelle, alors que nous, on lui proposait autre chose que l’on était en train de découvrir. On comprend que cela puisse faire peur. Mais il a adhéré pleinement à la démarche. Au fur et à mesure que l’on avançait sur notre projet, il s’est réconcilié avec son passé. Et du coup, on avance ensemble. 
Et pour moi, un athlète doit avancer en même temps que son entraîneur. Dans notre couple, on a travaillé avec un psychologue, quand moi j’avance, il est essentiel qu’Elodie avance avec moi (et vice-versa). J’ai besoin d’être en phase avec mon environnement.

Elodie Clouvel :
C’est beau et très émouvant de voir les gens progresser professionnellement. Je prends l’exemple de Sébastien parce qu’il me parle de sa médaille olympique manquée de 0,1 voilà plus de 15 ans. Il a vécu sa quatrième place comme un échec. Aujourd’hui, on peut en parler, parce qu’on l’a aidé au travers de notre démarche, à comprendre la nécessité de prendre du recul sur les évènements. Et j’ai besoin aujourd’hui de gens qui fassent la même chose pour moi.

Valentin Belaud :
Une fois de plus, c’est la notion de rencontre et de partage qui nous anime. Les gens qui nous accompagnent tous les jours, on a envie qu’ils avancent aussi dans leurs vies d’entraîneurs mais surtout dans leurs vies personnelles. 

Mais vous les aidez aussi à avancer dans leurs parcours d’entraîneurs. C’est vous en fin de compte qui amenez les entraîneurs à interroger leurs modèles. Bien sûr que cela peut fragiliser l’entraîneur, créer des silences et des blancs, restaurer et laisser travailler le doute. Ce temps est peut-être nécessaire pour modifier leurs propres représentations et d’accepter de faire un pas de côté. C’est courageux de leur part, d’autant qu’ils ont tous une longue expérience dans l’univers de la haute performance. 

Pascal Clouvel : 
Qu’est-ce qui fait les grands champions ? C’est souvent le grand champion qui fait les grands entraîneurs, ce n’est pas l’inverse. Chez les entraîneurs, Il y a une part de chance de récupérer des athlètes qui ont des aptitudes un peu plus élevées. C’est une chose, mais le grand champion, il se construit souvent par lui-même et c’est lui qui t’ouvre en permanence les yeux.

Valentin Belaud :
Les deux. Ils grandissent et se construisent ensemble. Un bon entraîneur, C’est d’abord une personne passionnée, curieuse qui est dans l’aventure de rencontrer l’autre dans sa singularité.

Toute différence de point de vue crée une tension un espace, un écart. Il s’agit d’exploiter les ressources respectives que déploie l’écart entre l’entraîneur et l’athlète. Et il est nécessaire « d’entre-tenir » cet écart. C’est à partir de vos différences que se crée ce « commun » qui vous amène à oeuvrer ensemble. Ce commun a quelque chose à voir avec les valeurs et l’éthique. Dans la mesure où vous avez travaillé avec de nombreux entraîneurs, comment avez-vous su tirer parti de cette « entre », de vos différences. 

Elodie Clouvel : 
Notre parcours nous a effectivement amené à nous entraîner avec des personnalités différentes. Cela ne m’a posé aucun problème. En natation, je suis passé de Anne Riff, à Richard Martinez avant de rejoindre Philippe Lucas et je me suis enrichie de leurs visions respectives… Je ne dirais pas que l’on a pris ce que l’on pouvait prendre. Parce que la relation n’est pas une marchandise. Nous avons été obligés d’habiter cet « entre ». Si chacun reste accroché à son point de vue, et qu’il n’y a pas d’échange, il est alors difficile d’avancer ensemble. Chaque expérience nous a amené à développer de nouvelles compétences, une nouvelle vision. Je l’avais décidé, j’avais fait un choix. C’était mon chemin.

Valentin Belaud :
L’autre jour, on s’est retrouvé pour une séance de fartlek. Il ne se passait rien, le silence, tout le monde était un peu dans le coaltar 1 et en deux trois phrases de Pascal, tout le monde avait le sourire. C’était validé, l’entraînement était fait avant d’avoir commencé. Le temps passé à l’entraînement avec le sourire, c’est ce temps là où tu vas progresser. Ma perf, je la dois juste à tous les gens qui m’ont entouré et qui ont tous accepté de se fragiliser et de se remettre en question. C’est là où le collectif prend tout son sens. 

Pascal Clouvel : 
L’important est de créer à tout moment les conditions de l’adhésion. Si un fartlek est prévu demain et que je commence à dire à Valentin, ne boit pas ta bière, …parce que putain demain tu vas en chier, ça va être difficile. Ce n’est pas bon de stresser en permanence les athlètes. J’ai entraîné des kenyans, des africains, et leur force est d’être décontracté. Nous en France, le système stresse les athlètes. Les entraîneurs mettent une pression dès le départ, avant le début de la séance et les athlètes craignent de mal faire. Ma philosophie est qu’il n’y a pas de séance difficile et il n’y a pas de séance facile. Tout travail demande une façon de l’appréhender, une certaine concentration, une certaine envie, un certain plaisir. Ce matin, ils ont fait une semaine difficile, je leur ai dit : « tient aujourd’hui on va s’amuser ». Toute la séance, ils ont couru avec la banane. 

Elodie Clouvel : 
En escrime on s’appuie sur Daniel Levavasseur, ancien DTN qui a créé sa propre académie. C’est un sage pas sage. Il est vivant. Georges Carraz, l’entraîneur d’escrime qui l’assiste est de la même veine. Quand je ne suis pas bien et que je sors ma tête de mule, il va me sortir des blagues pour me sortir de ma spirale.

Valentin Belaud :
Il n’a pas rejoint Daniel Levavasseur pour faire du Daniel Levavasseur. Daniel aurait refusé de former quelqu’un qui devienne comme lui. Georges me propose parfois des exercices (qu’il a vu faire depuis des années) sans me donner trop d’explications car il souhaite que j’invente des solutions qui me sont propres. Il m’est arrivé de proposer des réponses qu’il n’avait jamais vu. Georges est complètement atypique, c’est le seul Maître d’armes au monde, qui nous parle de cuisine de tout autre chose pour nous faire passer des messages imagés et ça s’est riche pour nous. C’est comme cela que l’on avance ensemble. 

Valentin Belaud :
C’est comme Estelle Mazelle notre entraîneure d’équitation ici à Font-Romeu. Au départ, elle n’avait pas vraiment d’expérience du haut-niveau. On a pris le temps de discuter pour l’amener sur ce que l’on cherche. On a découvert une personne humainement super, et elle a incroyablement avancé avec nous.

Elodie Clouvel : 
Elle propose des choses que l’on n’a pas l’habitude de faire, des trucs improbables. Récemment, elle nous a demandé : « Vous avez déjà fait sauter un cheval à l’arrêt, au pas ? Non ? Hé bien allez-y, sautez au pas ! » Alors que je focalisais avec une certaine appréhension, elle a réussi à détourner ma résistance pour me sortir de ce blocage. Et en fait j’étais très bien, et du fait, je me suis relâchée… 

Elodie Clouvel : 
Chaque profil est différent. La force d’un champion (Armelle nous le met souvent en avant), c’est de trouver des solutions que l’on n’a jamais vu. 

Valentin Belaud :
Plus jeune, j’étais raide, on m’a dit que cela n’allait pas. J’ai compris (notamment avec Armelle Van Eecloo, danseuse et chorégraphe en charge à l’INSEP de l’optimisation du geste) que ma raideur est une de mes plus grandes qualités. Elle me permet de créer cette vitesse intrinsèque que peu de pentathlètes sont capables d’acquérir. En Escrime, cette raideur-là me permet de développer une vitesse énorme, souvent imperceptible pour l’adversaire. Si je travaille avec Armelle certains assouplissements, je risque de perdre cette rapidité qui est ma force. Elle ne veut en aucun cas que j’aille toucher mes pieds alors qu’on m’a répété depuis l’âge de 7 ans que mon problème venait du fait que j’étais raide parce incapable de toucher mes pieds. Non, ma souplesse, je vais la trouver dans le mouvement (je vais y arriver un peu). Elle me dit que si demain je suis souple, je suis mort. Quelqu’un de plus laxe aura une réactivité plus lente, un temps plus long de mise en oeuvre et va utiliser d’autres schémas. Il ne faudra surtout pas l’amener à aller dans mon schéma ultra-rapide. Par contre, si tu joues uniquement sur la réactivité, tu vas bloquer, et créer d’autres problèmes. C’est juste une question d’équilibre. Je crois qu’il faut se méfier de points de vue trop affirmés et des pensées auto-réalisatrices qui expliqueraient que tel sportif n’est pas assez ceci, et trop cela. La vie est nuance et c’est la vie qui l’emportera. 

Elodie Clouvel : 
De nombreux sportifs s’autolimitent avec des représentations, je suis trop petit, trop grand… Chacun doit être l’inventeur de ses propres solutions. Nous ne sommes pas juste un corps à entraîner. Certains jours tout va bien et puis, il y a des jours sans enthousiasme, sans énergie… Un bon entraîneur doit être attentif à ces états. La vie n’est pas linéaire, elle est cyclique avec ses hauts et ses bas.

Propos Recueillis par Francis Distinguin

 

  1. Le coaltar est un goudron qui prend son origine dans la houille. C’est à force de respirer les odeurs toxiques du coaltar que les personnes devenaient ahuries. C’est pour cette raison que l’expression «être dans le coaltar» a signifié «être hébété».2 ↩︎
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