La lutte au sommet de Font-Romeu

La montagne s’est cachée derrière un épais brouillard à couper au couteau. Pluie, neige et vent piquent le cuir. L’hiver arrive. Pas de quoi perturber Michel Lafon, DTN de la lutte venu en force à Font-Romeu signer à la lampe torche une convention de partenariat avec le Centre National d’Entraînement en Altitude implanté sur le CREPS de Font-Romeu –

Il faut dire qu’il est un peu chez lui là haut dans la montagne, dans ce pays catalan ou de nombreux lutteurs ont transpiré toutes leurs peines avant de briller sur les grandes compétitions internationales. A commencer par Steeve Guenot, un chercheur d’or olympique (champion olympique à Pékin en 2008, médaille de bronze aux JO Londres 2012), venu à Font-Romeu en ce début de siècle travailler à la mine, puis plus récemment la jeune Koumba Larroque, une jeune cadette pétrie de qualités issue du Pôle espoir de Font-Romeu qui vient de remporter une médaille de bronze aux Jeux Olympiques de la Jeunesse 2014 après avoir été vice-championne d’Europe et vice-championne du monde.

Avec son bâton de pèlerin, Michel Lafon parcourt ainsi le Chemin de Saint Jacques de Compostelle de la performance dont une étape passe par le pôle espoir lutte de Font-Romeu pour s’assurer que les conditions d’entraînement et l’environnement sont favorables à l’épanouissement de ses jeunes recrues ; et porter la parole et les valeurs d’une fédération en déficit d’image. Courage, respect, engagement, dépassement de soi, contrôle de soi, solidarité. « La lutte est souvent une histoire de famille. Quand on y rentre, on reste attaché à cette discipline. On est lutteur toute sa vie ».

Dès l’âge de huit ans, le jeune Michel accompagne son père, président d’une association multisport , l’ASP Pierreclos dans ce petit village de quelques huit cent âmes au cœur de la Saône et Loire. Plutôt que la marche, les boules ou le tir à l’arc, Michel choisira la lutte pour une fidélité de plus de quarante ans au milieu fédéral.

La lutte à Font-Romeu est constitutive de l’ADN de la fédération. Dès l’ouverture du centre, en 1968, une section sportive lutte est créée sous la houlette de Georges Carbasse, lequel continuera à servir la lutte sur les plans national et international et enfin  auprès de la Ligue Régionale de lutte dont il est actuellement vice-président.

Un positionnement que ne reniera pas Benoit Schuller, adjoint au DTN chargé du Haut-Niveau à la Fédération, qui prend un plaisir certain a retrouver le pôle espoir dont il fut l’entraîneur entre 2006 et 2010 « J’apprécie ici de trouver les valeurs d’abnégation, de simplicité et d’éducation qui parfois font défaut chez certains au niveau des Equipes de France. Ici, les athlètes bénéficient d’une véritable éducation et d’une planification de l’entraînement qui leur permet d’acquérir les bases techniques et tactiques, ces Maitrises indispensables au très haut-niveau. »

Une vingtaine d’heures d’entraînement par semaine, doublée d’une trentaine d’heures de cours auxquelles se rajoutent les heures de rattrapage ou de soutien scolaire, les contraintes ici sont lourdes pour de jeunes adolescents. « Une des difficultés reste l’éloignement de leur famille d’autant que, pour la plupart, ces jeunes ne disposent pas de gros moyens financiers. Tous les lutteurs que l’on a retrouvés au très haut niveau et qui sont passés par Font-Romeu gardent un très bon souvenir, comme s’ils avaient trouvé là une deuxième famille. »

Olivier Salvan, proviseur du Lycée Pierre de Coubertin et du Collège Jean Rostand souligne l’importance de l’accompagnement de ces sportifs notamment au plan scolaire. « Le rectorat de Montpellier a affecté à titre provisoire un professeur EPS, Christine Cayron, que nous avons détaché sur les structures d’entraînement de la Cité de l’Excellence Sportive. Il est vital que ce poste soit pérennisé. »

Les lutteurs du Pôle espoir ne sont pas venus ici cueillir les morilles

Les jeunes lutteurs ne sont pas venus ici pour cueillir des morilles mais pour accéder au plus haut niveau de leur potentiel de performance tout en conciliant sports et études. « La lutte n’est pas suffisamment professionnalisée pour offrir à tous ces jeunes des perspectives de reconversion professionnelle dans leurs disciplines. Les clubs de lutte sont sollicités pour des actions de bénévolat dans les quartiers dans le champ de l’insertion, du sport adapté, du sport scolaire,…sans que pour autant la fédération ne puisse toujours valoriser ses actions en terme de licenciés et de moyens financiers. la professionnalisation de nos activités est un déterminant majeur de notre développement » précise le DTN.

Alors que le judo fut pendant longtemps une discipline associée de la Fédération, Française de Lutte, leur compagnon de route s’est fait la belle pour créer en 1946, la Fédération Française de Judo et disciplines associées. Déboutée puis réintégrée au programme des disciplines olympique pour 2016, les instances internationales de la lutte ont bien compris l’importance de se moderniser, d’intégrer de nouveaux codes et modes de communication. Une stratégie qui ne peut se résumer à la tenue de combat parfois considérée comme ringarde par certains observateurs.

Un élément important est la diffusion en direct sur le site de la fédération internationale de toutes les compétitions majeures. Trois caméras disposées autour des tapis permettent ainsi au public de suivre les évènements majeurs. Il s’agit aussi aujourd’hui de mieux appréhender la demande du public et d’œuvrer plus efficacement pour la formation d’entraîneurs et le développement des pratiques.

« Cette stratégie permet de mieux fédérer et rapprocher pratiquants et supporters de nombreux pays intéressés par la lutte. Aux Etats-Unis, la pratique concerne beaucoup d’étudiants. La Folk Wrestling est très populaire dans les universités américaines. Dans les pays de l’est, l’Iran, la Mongolie et bien d’autres la lutte est un sport quasi national car il est accessible par tous et valorise la relation à l’autre en inculquant des valeurs.

Lutte sénégalaise

En Afrique, la lutte traditionnelle que l’on trouve au Sénégal, au Niger et dans la majorité des pays constitue un moment fort des fêtes populaires, elle est parfois professionnelle. Pour des raisons financières ces pays éprouvent des difficultés à intégrer les organisations internationales. En France, la pratique se concentre sur un arc nord –est (Ile de France, Nord Pas De Calais, Alsace, Lorraine, Franche Comté, Bourgogne, Rhône-Alpes avec des bassins historiques autour de Clermont Ferrand, Bordeaux, Nice… malgré des actions de développement engagées sur tout le territoire.

Le terreau de la lutte concerne plutôt les milieux populaires. Les sociologues Pierre Bourdieu et Christian Pociello[1] ont démontré qu’il existait un lien entre le champ des pratiques sportives et l’origine sociale des pratiquants. La distance corporelle qui sépare les combattants serait un marqueur de classe sociale. La lutte est le sport de combat où l’on est au plus près de son adversaire.» Ces études trouvent cependant parfois des pratiques détractrices dans certains pays du monde car la lutte est aussi largement pratiquées pour ses vertus éducatives et dans la cadre des fêtes populaires.

La Fédération Française de Lutte s’appuie sur une base relativement restreinte de pratiquants. La constitution d’un pool de compétiteurs restreint à l’INSEP et la recherche d’une très forte adversité en allant combattre avec les meilleures équipes mondiales est une des réponses apportée par la fédération dans sa recherche de la performance. La France n’a pas un effectif suffisant de pratiquants de haut niveau pour accueillir aujourd’hui plus régulièrement (comme le judo) des équipes de haut niveau étrangères. L’équipe de France est donc obligée de se déplacer assez souvent à l’étranger. Les tournois internationaux de Paris et de Nice s’inscrivent dans la stratégie de fidéliser des pays pour accueillir plus régulièrement des stages internationaux en France afin de faire progresser l’ensemble de nos potentiels

Un autre aspect et non des moindres, souligne Michel Lafon, est d’améliorer la prise en compte de la singularité de nos meilleurs athlètes. Cela suppose par exemple de développer des modes d’entraînement avec support vidéo, peu utilisé dans le monde de la lutte à ce jour. La vidéo devrait également permettre d’enrichir la relation entraîneur/entrainé. Traditionnellement, l’entraîneur plutôt directif parle et l’élève applique. La vidéo, à condition d’être utilisée à bon escient, devrait favoriser discussion, élaboration d’hypothèses, définition d’objectifs partagés pour une meilleure collaboration entre les athlètes et les entraîneurs.

Les récents résultats de nos lutteurs à l’international nous encouragent à aller dans ce sens. En effet, l’année 2014 aura été exceptionnelle pour la France qui remporte une médaille dans toutes les compétitions de références (championnats d’Europe, Championnats du Monde et Jeux) de la catégorie de cadet à senior.

A souligner notamment le titre de Champion du Monde senior remporté par Melonin Noumonvi (4ième champion du monde de l’histoire de la lutte française), également le premier titre de Champion du monde junior en Lutte Libre (de l’histoire de la Fédération) remporté par Zelimkan Khadjiev ; et puis enfin le titre cadet de la jeune espoir de Font-Romeu Koumba Larroque lors des Jeux Olympiques de la Jeunesse.

Le pôle espoir de Font-Romeu est un premier maillon important dans le Parcours de l’Excellence Sportive. Je tiens à souligner l’excellent travail de l’entraîneur du pôle espoir Isabelle Ladeveze. Isabelle est une des trois cadres techniques féminines de notre fédération qui en compte vingt neuf. Les mentalités évoluent bien dans un sport où la lutte féminine a vraiment débuté dans les années 80. Dès l’apparition de la lutte féminine aux JO d’Athènes (deux médailles de bronze pour la France avec Anna Gomis et Lise Legrand), la France fut quelques temps leader au plan international, mais aujourd’hui la concurrence chez les femmes en lutte libre est aussi importante que chez les hommes. L’objectif serait de qualifier jusqu’à quatre filles pour participer aux JO de RIO avec l’espoir réaliste d’une médaille ».

Deux stages annuels été, hiver avec les équipes de France de Lutte sont  prévus au CNEA/ CREPS Font-Romeu. A bientôt pour la cueillette des morilles !!!

Francis Distinguin

Conseiller Technique et Pédagogique Supérieur – CREPS/CNEA Font-Romeu


[1] C.Pociello, Sport et Société, Vigot, 1981

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