LE PARCOURS D’ENTRAÎNEUR N’EST PAS UN LONG FLEUVE TRANQUILLE

Le concept est simple, un entraîneur, un athlète, une personnalité s’entretient avec le département Performance 360° du Centre National d’Entraînement en Altitude à Font-Romeu.
A l’honneur, Sébastien Deleigne, entraîneur national de pentathlon moderne entraîne Elodie Clouvel et Valentin Belaud, deux sérieux prétendants au Graal Olympique. Il évoque son parcours, le métier d’entraîneur et sa vision de la haute performance. Musique !

Elodie Clouvel, Sébastien Deleigne et Valentin Belaud invités au LUX* SAINT GILLES À LA RÉUNION POUR S’ENTRAÎNER !

Professeur d’EPS et éducateur dans l’âme, Sébastien Déleigne est un oiseau rare. Il ne vient pas de nulle part. Son panier est particulièrement bien garni : Double champion du monde individuel, champion du monde par équipe, double champion d’Europe individuel, en relais et par équipe, 4 participations aux Jeux Olympiques 1992, 1996 2000 et 2004.
Aucune suffisance ni arrogance de ce personnage qui dégage une douce mélancolie. Il n’a pas, comme d’autres entraîneurs, des fourmis dans les jambes. Il n’a pas envie d’en découdre. Il veut seulement être. C’est cela, sa supériorité. Il n’est pas l’homme des jeux verbaux. Il n’est pas celui qui se satisfait des phrases bien tournées ni même des souvenirs convenus. Il puise sa force dans ses racines. Ses performances, tel un sculpteur, il est allé les chercher à partir de ce qui pèse en lui pour tirer de la pierre quelque chose qui lui ressemble.

Entraîneur d’arides solitudes, il est celui qui tente de capter la résonance profonde des athlètes dont il a la charge, et percevoir ces moments où l’athlète est fragilisé lorsque le voile de la vie se déchire et le laisse à l’épreuve ardente de l’inconnu, à la nécessité d’être plus que soi-même, d’être plus grand, plus brave, plus calme, plus souverain.

Aventurier, il semble porté par une pulsion d’aller au-devant de son propre devenir, quoi qu’il en coûte. L’unité profonde, absolue de sa quête, s’impose à toute son existence. Il a la conviction que la vie se trouve dans la tentative toujours recommencée de prendre les chemins escarpés.

Il dénonce le fait que de nombreux entraîneurs ont tendance à demander à leurs sportifs d’appliquer les situations proposées au tableau dans l’espoir que la répétition leur permettra de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés. Il lui paraît essentiel que les entraîneurs et les sportifs se préoccupent du cheminement pour trouver les solutions. Mais cela demande du temps, un temps parfois incompatible avec les attentes de l’environnement. 

« Je travaille beaucoup sur la pédagogie de la découverte dans le sens où l’on échange beaucoup. L’athlète, en même temps, va créer quelque chose, et là ça m’intéresse. Parce qu’il est acteur de ce qu’il fait quand il crée. Mon vécu m’autorise à dire que ce que tu fais s’ancre beaucoup plus facilement dans ta mémoire que ce que l’on te dicte. Dans la découverte, il y a cet aspect-là. Découverte amène créativité. Non pas pour reproduire à l’identique mais comme l’occasion d’inventer en situation. De mon point de vue, il n’y a pas de différence de nature entre la découverte de l’activité et la performance de haut-niveau. C’est un même processus. Juste le niveau d’exigence change. »

Il se méfie de l’instruction, terme corrompu auquel, il préfère l’éducation, la culture.

Instruire, cultiver : distinction féconde, essentielle. On instruit un enfant. Mais aussi un animal, qui saura épater son monde. On cultive un champ, fécond de fruits. On cultive un esprit, fécond d’œuvres. Cultiver, c’est féconder. C’est donner la vie. Se contenter d’instruire, c’est faire triompher la mort. L’angoisse de Saint-Exupéry est de vivre ce temps où l’instruction prime tout. On forme des techniciens, des fonctionnaires, des ingénieurs. On fabrique du bourgeois à la chaîne. L’esprit vient après. Il ne vient pas. On l’économise. On le déclasse…

SAINT EXUPERY – PARACLET – DE SYLVAIN FORT

Avec le recul, il convient que la ténacité et beaucoup de patience furent ses principales compétences. « J’étais besogneux, j’en rajoutais. Je doublais des séances pour prendre confiance notamment en natation car étant nageur initialement, la pratique du pentathlon m’avait modifié, j’étais plus musculeux et je ne trouvais plus les bonnes sensations. Je savais qu’il me fallait beaucoup de travail pour y arriver…  Je n’étais jamais satisfait même lorsque je gagnais. J’aurais pu faire mieux sur des détails, … Une forme de perfectionnisme qui a été un frein en 1996 où j’étais un des favoris. Je n’acceptais pas la petite erreur. A partir du moment où je n’acceptais pas, j’en créais d’autres. A partir du moment où j’ai compris que j’avais droit à l’erreur… en 1997, je suis champion du monde et ensuite, ça s’est enchainé. 6 mois après champion d’Europe, 6 mois après de nouveau champion du monde, … »

Une ténacité, une rigueur à l’entraînement qu’il a puisé dans son éducation. « Mes parents, « pieds noirs » habitaient Oran. Ils sont revenus en France à cause de la guerre en 1962. Ce retour n’a pas été facile, et c’est peut-être pour cela que la famille a toujours été très importante pour préserver mon équilibre.

L’étranger d’Albert Camus

Malheureusement, je ne connais pas Oran, si ce n’est qu’au travers d’Albert Camus, un de mes écrivains préférés. J’ai donc vu le jour en 1967 à Toulouse et à l’âge de trois ans, mes parents ont déménagé à Lézignan-Corbières dans le pays cathare, au pays du pinard et du rugby à XIII, dont les fortifications médiévales nous protégeaient du monde.

J’adorais le sport. A 8 ans, ma mère a voulu que je sache nager. Elle m’a donc inscrit avec mes deux frères au CNNL (Cercle des Nageurs de Narbonne Lézignan). A 11 ans, j’ai rejoint mon frère qui s’entraînait au sport-étude natation sous la houlette d’Anne-Marie Agel au CNEA de Font-Romeu, puis de Christophe Millet lequel m’a écœuré de la natation. C’était dans les années 1978, 1979, 1980. Ensuite, j’ai pratiqué également d’autres disciplines, notamment le biathlon course et la natation en UNSS et l’équitation. De retour à la maison, j’ai découvert le pentathlon à l’occasion d’un petit stage de détection organisé par François Noêl, l’entraîneur du Sport-Étude Pentathlon de Font-Romeu. Je l’ai rejoint en 1983 en seconde. Le pauvre homme est décédé avant ma participation à mes premiers JO. Ce fut l’entraîneur que j’admirais le plus. Il s’est tiré une balle dans la tête. »

La situation familiale, l’éloignement des parents, le fait de rester toute l’année à s’entraîner à Font-Romeu à l’exception des vacances de Toussaint et de Noël, l’absence de réseaux de communication, … Sébastien reconnait volontiers que cette période n’a pas toujours été facile à vivre. « Physiquement, c’était hyper dur à l’époque. C’était la prégnance des modèles d’entraînement russes (notamment inspiré des nageurs Salnikov et Kopliakov). Ils nageaient des km et des km, et nous, la tête dans le guidon, on faisait pareil… et puis à l’époque on disait que pour bénéficier de l’altitude, il ne fallait jamais descendre en plaine.

L’entraînement était essentiellement physique. Sur le tableau, il n’y avait que des sommes et des séries de sommes. Le travail technique était très pauvre et il n’était pas question de demander à quoi servent les exercices. Mais le plus dur n’était pas l’entraînement en lui-même, c’était l’éloignement. Mais je l’ai vécu plutôt comme une aventure qu’un sacrifice car cela était mon choix. Une aventure difficile qui m’a permis de mieux me connaître.

Avec le recul, je me rends compte que la notion de combat était intégrée dans mon éducation. Pour mes parents, partis d’Algérie, ça a été très dur pour eux… Notre éducation tournait autour de cela. On vivait avec l’adage qu’« il n’y a pas de plaisir dans la facilité . » Il fallait donc se battre pour y arriver. Non seulement j’étais toujours insatisfait mais il fallait que je me donne plus pour y arriver. La vie était un combat. Si c’était à refaire, je le referais … mais je pense qu’il y a peut-être d’autres chemins pour y arriver

Bac en poche en 1986, il décide alors de prendre un nouvel envol pour rejoindre le pôle France à l’INSEP avec le sentiment d’être considéré plutôt comme un sparring partner. Il ne s’avait pas qu’il y resterait dix-huit ans (jusqu’en 2004).
« Au début, j’avais confiance en moi mais du mal à performer. Ce n’est qu’en 1990 que je gagne enfin ma première sélection en équipe de France pour participer aux championnats du monde. »

Pendant cette période, il passe ses diplômes d’entraîneur à l’INSEP ainsi que le professorat d’Éducation Physique et Sportive. « C’était ma vocation. J’ai baigné dans un environnement sportif avec des gens formidables. J’ai souvenir de mon premier entraîneur en natation, Mr Marceau Gay… c’était l’époque un peu rude où tu prenais parfois des gifles quand tu faisais le con mais quelque part, … L’autorité était rude partout. A la maison, à, l’école… Bref ! N’empêche j’y ai trouvé quelque part des ressources pour avancer et pouvoir durer. J’ai toujours appris qu’il ne fallait rien lâcher et je lui suis reconnaissant pour les valeurs qu’il m’a inculqué. Ce n’est pas non plus la seule et meilleure voie… mais cette dureté correspondait aussi à cette période. »
Le départ de son entraîneur (Christian Roudaut actuel DTN)) pour l’Angleterre en 2001 après sa 4ème place à Sydney, une médaille d’argent loupée sur un impact en tir à quelques millimètres du graal. Sébastien sent le besoin de souffler. Il prendra quelques temps ses distances avec l’équipe de France.
Contacté par les mexicains (Sébastien avait remporté un championnat du Monde au Mexique), il décide en 2002 de partir en immersion totale à Mexico City pour prendre en main leur équipe olympique. L’aventure durera un peu plus d’un an. Le peso se dévalue… les conditions financières ne sont pas fiables… « Décembre 2003, je décide d’arrêter, de rentrer en France et de reprendre la compétition. Et là, je reviens à mon meilleur niveau en réalisant de bonnes perfs en natation, en tir et en escrime, et j’enchaîne les compétitions. Mon statut au sein de l’équipe de France a changé. « Compte tenu de ton âge (37 ans), tu n’es plus Sébastien Deleigne mais un compétiteur comme un autre » lui précise un de ses entraîneurs.»
Dès lors, il éprouva des difficultés à s’intégrer à une nouvelle équipe d’athlètes et d’entraîneurs. « Sur les recommandations de Philippe Le Van, Docteur à l’Insep, je me rapproche d’une Psy, Meriem Salmi laquelle m’a beaucoup aidé pour vivre différemment ces moments-là… ce qui m’a aidé à aborder autrement certaines disciplines, notamment le tir. Si j’avais engagé cette démarche avant, j’aurais été champion olympique. »  

Sollicité par la fédération (lors du stage préparatoire pour les JO d’Athènes) en 2004 pour prendre le poste d’entraîneur au CNEA de Font-Romeu, Sébastien accepte ce nouveau challenge qui durera 4 ans (de 2004 à 2008) ; puis décide de se rapprocher ENFIN de sa femme Laurence et de sa terre natale pour prendre d’abord les fonctions de directeur départemental du sport scolaire dans l’Aude avant de reprendre pied dans sa ville Lézignan-Corbières. Son besoin d’ancrage l’amènera à s’impliquer dans le tissu associatif local – création d’un club de pentathlon à Lezignan – d’une section pentathlon avec le club de natation de Narbonne – Président d’Honneur du club de Rugby à XIII – Préparateur Physique des minimes et des cadets ainsi que manager des juniors en 1999-2000 – élu au sein de la municipalité et du comité directeur de la fédération de pentathlon.

Sébastien s’adapte, s’ajuste, bifurque, … il mène sa vie en philosophe.
« Tu fais avec la situation et l’environnement qui t’est donné. C’est un train que tu prends, parfois tu changes de gare pour une autre direction, tu traces… ». C’est peut-être à la lecture de son parcours que l’on perçoit les qualités essentielles qu’il a développé pour aujourd’hui être en mesure d’accompagner Valentin Belaud et Elodie Clouvel au sacre olympique.« Au-delà de toute l’expérience, le vécu et les connaissances (savoirs pour enseigner) que j’ai pu acquérir dans mon parcours, … je pense que ma principale compétence est d’être plus proche d’eux quand ils en ont besoin et de les accompagner au quotidien. Entraîneur du haut-niveau, ce n’est pas seulement écrire l’entraînement sur un tableau mais c’est d’abord de comprendre leurs façons de penser et la cohérence que tu mets en place dans ton fonctionnement et à l’entraînement. Et une des qualités essentielles est l’écoute. Qui est en face de moi ? Cette écoute attentive est nécessaire pour comprendre l’autre et mettre en place des modalités de travail, des contenus d’entraînement les plus adaptés en fonction de leurs de leurs besoins, de leurs attentes et de leurs désirs. »
Valentin Belaud, membre de son club, lui demande de venir le voir aux JO de RIO 2016. A l’issue des JO, déçu par sa performance, Valentin Belaud décide avec sa compagne Elodie Clouvel, vice-championne olympique à Rio, de créer ensemble leur propre structure privée d’entraînement.

La fédération accepte et valide. Un compromis est trouvé avec la fédération. Elle nommera et prendra en charge l’entraîneur référent. Sébastien Deleigne est appelé à la barre. Encouragé par sa femme, il décide de relever ce nouveau défi.

« Mon parcours m’a permis d’avoir de nombreuses expériences de vie, comme compétiteur d’abord, puis éducateur et entraîneur. Peut-être que ma force est seulement une sorte de bienveillance dans la mesure où chacun est différent et que compte tenu de mon parcours je suis certainement la bonne personne pour les accompagner dans ce travail de coopération. Ce qui est important de dire, c’est que l’on se construit ensemble. En trois ans, j’ai beaucoup changé, beaucoup évolué… ma façon d’être, ma façon d’intervenir. … Moi aussi, j’avais tendance à utiliser ce qui j’avais appris et ce qui avait marché, alors que là j’ai accepté ma fragilité et celles des athlètes dont j’ai la responsabilité. C’est une construction qui s’est élaborée sur la fragilité, ta propre fragilité et celle de tes athlètes pour construire des fondations plus solides.
Ce sont des personnalités très fortes, certainement une des raisons qui les ont amenés au plus haut niveau mondial. Avec eux, je suis dans une posture de partage. J’ai compris qu’il n’est pas possible d’accompagner un athlète si, à un moment donné, il ne se dévoile pas … que ce soit à l’entraînement et plus largement dans leurs vies. Mais en aucun cas, je ne rentre dans leur intimité.
Ainsi tu peux saisir à quel moment tu vas pouvoir l’accompagner au mieux, parce que à ce moment-là son comportement, son attitude te montre qu’il a besoin de cela. On a toujours des discussions. On ne passe pas un entraînement sans parler. »

Que la haute performance vous tienne en joie !

Francis Distinguin

Prochainement : Entretien avec Elodie Clouvel et Valentin Belaud : »En quête du graal olympique – Tokyo 2021″

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