POUSSIÈRES D’ÉTOILES

ELODIE CLOUVEL – VALENTIN BELAUD – PENTATHLÉTES

« Nous sommes tous des poussières d’étoiles », se confiait l’éminent astrophysicien Hubert Reeves. Voilà de quoi nous réjouir en cette période difficile ! Sur les sommets enneigés de Font-Romeu, deux rayonnantes météorites se sont posées en douceur pour nous parler de leur univers.
Auréolés d’une médaille d’argent olympique en 2016 pour Elodie Clouvel et d’un titre de champion du monde 2019 pour Valentin Belaud, son compagnon dans la vie, les deux pentathlètes français ont décidé à l’issue des JO de Rio en 2016 de créer leurs propres structures d’entraînement pour préparer les JO Tokyo 2021. Retour sur une décision murement réfléchie de s’engager dans une nouvelle aventure.

« Chaque homme, à quelque période de sa vie, a eu la même soif d’Océan que moi » écrivait Herman Melville (Moby Dyck (1851) ».
Prendre le large …. Melville écrit encore « revoir le monde de l’eau » et l’on comprend que ce motif de la mer n’est pas une affaire de navigation, mais de grand large existentiel, de sublimation de la finitude et de la lassitude qui tombent sur le sujet sans qu’il sache quoi répondre – car il n’y a pas de réponse. Il faut dès lors naviguer, traverser, aller vers l’horizon, trouver un ailleurs pour de nouveau être capable de vivre ici et maintenant.

Cynthia Fleury CI-GÎT L’AMER – Guérir du ressentiment. Éditions Gallimard 2020.

 
Après quinze ans passés dans le giron fédéral à s’entraîner quotidiennement, Elodie et Valentin, ont éprouvé un besoin vital de se ressourcer, dans le sens d’un retour à la source d’eux-mêmes, pour retrouver le chemin de l’expérience choisie. La chose paraît si simple ; elle l’est, foncièrement mais le prix à payer de l’expérience n’est pas neutre. Car pour faire expérience, il leur faudra abandonner le confort des choses établies, sortir d’une routine mortifère pour se réinventer. Créer les conditions de sa liberté, enterrer l’amer pour que fructifie autre chose, se découvrir, voguer sur l’océan incertain de la haute performance. Quelle belle et courageuse aventure !


Lors de leur séjour confiné au Centre National d’Entraînement en Altitude, dans le silence de la montagne abandonnée à la nature, une conversation s’est engagée entre Elodie Clouvel, Valentin Belaud, et leur entraîneur d’athlétisme Pascal Clouvel et votre serviteur, curieux de comprendre cette nécessité qui s’est imposée à eux de larguer les amarres d’une organisation fédérale qui ne leurs convenait plus. C’est le premier temps du scénario.
Mais une fois les choses dîtes, il faut se mettre au travail, à l’ouvrage. Ce sera l’objet du deuxième épisode. Engagement, détermination, pugnacité, la route sera longue et semée d’embuches, non seulement pour élaborer et construire une embarcation fiable et rapide ; mais également recruter un équipage, compétent et solidaire pour résister à toutes les tempêtes et les accompagner vers leur destin olympique.
Musique !

De toute évidence, ils n’en pouvaient plus. Il leur fallait changer d’horizon, aller vers un ailleurs lointain à la recherche d’eux-mêmes. Ballotés au gré des vents et des évènements, ils n’avaient plus la sensation de s’appartenir. « Bois flottés » perdus dans l’océan, ils sont en quête de leurs racines. A l’image de ce mythe mélanésien de l’île du Vanuatu :  « Tout homme est tiraillé entre deux besoins, le besoin de la Pirogue, c’est-à-dire du voyage, de l’arrachement à soi-même, et le besoin de l’Arbre, c’est à dire de l’enracinement, de l’identité, et les hommes errent constamment entre ces deux besoins en cédant tantôt à l’un, tantôt à l’autre ; jusqu’au jour où ils comprennent que c’est avec l’Arbre qu’on fabrique la Pirogue ».

Sensation de ne pas être dans leur vie, dans le mouvement de la vie, dans leur performance, ils ont pris conscience de la nécessité de se prendre en mains pour éviter de se pétrifier et d’étouffer. Un besoin absolu de se décoller de la routine et du quotidien pour exprimer leur créativité et évoluer en permanence. Sortir de la routine et de la répétition du même est la condition de renouvellement de leur performance.
Plutôt que répétition, Elodie préfère le terme de reprises et de variations : La répétition n’est jamais la reproduction du même, c’est reprendre. Dans la reprise, il y a un espace de créativité qui s’ouvre. J’ai le sentiment de fonctionner comme une artiste dans le sens où je conçois ma performance comme une ouverture à la création. Si l’entraînement est linéaire et monotone, je m’ennuie assez vite. J’ai besoin de propositions d’entraînement qui me tiennent toujours en éveil. Je préfère prendre du repos que de faire un truc qui ne m’éclate plus. Et le fait de prendre du repos va me permettre de retrouver cette envie-là. J’ai de la régularité tout en ayant des cycles différents pour que je reste tout le temps animée en fait, en mobilité. Il faut que les choses vibrent, soient en suspens pour créer des choses nouvelles. Sur le papier, cela peut apparaître comme la répétition d’un entraînement mais en réalité, il s’agit toujours d’une confrontation à une situation nouvelle. Il me faut créer une ambiance, une atmosphère qui m’inspire pour que mon entraînement soit efficace.
Elodie se nourrit de l’écart. Mais comment créer les conditions de l’écart, du décollement par rapport à ses propres représentations ? Comment faire un pas de côté pour avoir une autre vision des choses ? Picasso disait que pour regarder un tableau, il l’accrochait à l’envers. Pour changer de point de vue, voir différemment. C’est compliqué pour un entraîneur qui voit Elodie nager pendant dix ans. La vue colle.

Pour Valentin Belaud : Le problème de nombreux entraîneurs, est qu’ils cherchent quelque chose qui marche et s’appuient « sur leurs trouvailles » toute leur vie. Mais ce n’est pas la vie cela. Bien sûr, c’est rassurant de s’appuyer sur ce qui a marché, mais il ne faut pas s’arrêter d’interroger, de chercher, d’innover parce que chacun est différents et que tu évolues à chaque reprise. 

Elodie confirme : Dans le temps, ton corps évolue. Ce qui fait sens à un moment donné peut ne plus avoir de sens par la suite. Ce n’est pas parce que j’ai été vice-championne Olympique à Rio en 2016 que je vais me dire qu’il faut que je m’accroche à retrouver les mêmes sensations à Tokyo. Non, il faut recréer. Aujourd’hui à l’entraînement, je me sens comme ça en course et en natation ; demain, je me sentirais différemment. Et il faut l’accepter. 

Ce fut parfois horrible pour moi. Je voulais contraindre mon corps à m’obéir mais il refusait de me répondre.

Elodie Clouvel

D’autant plus qu’une nouvelle sensation peut s’avérer une promesse dans le sens où elle est condition de l’apparition du nouveau et donc préalable à la création. Cela fait écho à l’interview de leur entraîneur Sébastien Deleigne, tout surpris après une longue période de diète, de découvrir de nouvelles sensations à son retour à la compétition. Comme s’il avait pendant longtemps refoulé l’apparition de la nouveauté. Mais comment créer les conditions d’apparition de la nouveauté ? Cela suppose de libérer la place, de faire tomber nos propres murs, d’abandonner le confort d’un quotidien pétrifié qui n’interroge plus le sens, de réveiller le désir de vie. Elodie pose la question fondamentale du désir. La première force, c’est la joie disait le philosophe Clément Rosset. Si tu n’as pas de plaisir dans ce que tu fais, c’est terminé. Si c’est un sacrifice, c’est terminé, si c’est une aventure cela est la vie. Tu es alors pleinement vivante, invitée à entrer en toi pour te découvrir, te construire et aller vers tes rêves.

Elodie : Il m’est arrivé de rester à l’Insep pendant des mois, lassée par la routine, endormie par la fatigue de l’entraînement et sans inspiration. Le risque est alors de tomber dans une spirale où l’absence d’inspiration tue l’envie et le désir. Ce fut parfois horrible pour moi. Je voulais contraindre mon corps à m’obéir mais il refusait de me répondre. Je faisais pourtant tout ce que l’on me disait de faire sur le papier mais cela s’avérait contre-nature et contre-productif. J’ai compris que ce n’était pas la bonne démarche pour m’aider à améliorer mes performances en compétition. Dans un schéma qui est faux, tu as tendance à perdre l’estime de toi.

FD : Cet exemple est extrêmement révélateur de l’importance à donner du sens à sa pratique compétitive. J’ai été récemment longuement échangé avec les collectifs jeunes en natation, dont les meilleurs sont supposés participer au JO 2024. Parmi ces jeunes, ils sont nombreux à ne pas trop savoir pourquoi ils nagent. J’ai eu parfois le sentiment que de nombreux nageurs s’entraînent pour s’entraîner et que certains entraîneurs entraînent pour entraîner, en oubliant l’intention large qui est de nager le plus vite possible d’un endroit à un autre pour battre les adversaires (et si possible en faisant le meilleur temps). Trop souvent l’entraîneur est content car ses nageurs ont fait la séance, et les nageurs sont contents car ils ont répondu à l’attente de l’entraîneur. Si ces jeunes choisissent la natation de compétition, c’est pour faire de la compétition. Or cette aspect-là me semble négligé. Ils se préparent à la compétition sans en faire souvent. C’est un peu comme dans le film « le désert des Tatares », ils se préparent à un combat qui n’arrive jamais. La crise COVID a créé un vide terrible pour ces jeunes car la plupart n’habitent pas leurs projets.
Au final, on constate que ces gamins ne se sont jamais incarnés, ils ne se sont jamais remplis d’eux-mêmes. Ils ont remis les clés de leurs maisons, à un préparateur physique, un préparateur mental, … ils n’ont jamais été acteurs de leurs projets.

Elodie : Tu meurs, et c’est horrible.

Valentin : J’ai vécu cela. Dans ma jeunesse, j’ai souffert car j’ai dû me plier à tous les usages et tous les codes. De nature très curieux, trop pour certains, j’ai pendant longtemps été stigmatisé par mon environnement. Libre, trop libre, curieux, trop curieux… j’allais droit dans le mur. Profil atypique hyperactif, je comprenais vite à l’école et m’adapter aux rythmes des autres a été très compliqué pour moi. Sagement, avec docilité, je me suis plié aux codes et aux usages pour vivre en société. J’ai alors été formaté à vivre selon ces modalités pour éviter que l’on me ferme toutes les portes. Peut-être était-ce lié au fait que mon père était militaire. En tout cas, moi, j’étais devenu quelqu’un d’hyper carré. Et cela a duré longtemps, toutes mes classes j’ai dû faire ça…. Et j’ai vu que dans ma perf ça ne m’apportait plus rien. J’avais compris avec effarement que je pouvais remplir toutes les cases dans le coaching, mais que ce n’était pas moi. Je suis rentré dans le collectif en me perdant, en perdant mon naturel. Pendant longtemps, je me suis protégé d’une carapace.
Mais après les JO 2016, ces choses enfouies sont ressorties. Et du coup, j’ai repris ma liberté tout en gardant le cadre dans lequel je m’étais construit. Cette prise de conscience m’a permis de m’émanciper, de me reconnecter avec moi-même et de reprendre ma liberté et de retrouver le plaisir et la joie de mes débuts dans la vie.

FD : A propos de la notion de liberté, Nietzsche disait que c’est dans la contrainte que l’on peut acquérir sa liberté. Certains sportifs vont se lancer des challenges et se définir des contraintes choisies, qui font sens pour eux afin de réaliser leurs objectifs. La liberté se trouve dans cette capacité à trouver des solutions les plus pertinentes possibles dans un cadre défini.

Valentin : Cela fait écho à mon parcours. Lors de mon arrivée à l’INSEP, les contraintes ne me convenaient pas du tout. Il me fallait gagner pour pouvoir enfin être entendu et m’émanciper de cela. Il a fallu que je trouve les conditions de mon émancipation d’un cadre qui n’autorisait pas la création, et … cela était trop destructeur pour moi. C’était une situation comparable à ces nageurs où tout était tellement réfléchi, planifié qu’il n’y avait aucune place à la création.
Aujourd’hui bien sûr que l’on a un objectif final, mais on part libre, et on va s’entourer de compétences au fur et à mesure (qui partagent et comprennent comment on fonctionne). Les choses ne sont pas définitivement tracées. Dans un mois, on ne sait pas vraiment ce que l’on va faire, on a des idées on a des pistes, mais il faut que l’on réponde à l’envie du moment et si c’est planifié trop précisément, trop tenu … on n’est plus dans la performance, … la vie bouge en permanence, du coup on est plus en accord avec la vie, avec ce qui se passe
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Mes grands-parents, ils ont économisé toute leur vie pour un voyage le jour de leur retraite qu’ils ne feront jamais. Je veux profiter de chaque instant.

Valentin Belaud

FD : Mais il faut faire confiance à la vie. « Qu’est-ce que tu vas faire plus tard ? » est une question terriblement angoissante, portée souvent par des parents attentifs à leurs progénitures. Comme si aujourd’hui ces athlètes n’étaient pas pleinement dans leur vie. Existerait un « plus tard » prometteur. Il leur faut du courage pour résister à ces injonctions sournoises. Un sportif de haut-niveau pleinement engagé dans son projet développe tant de compétences ! Bien sûr qu’à un moment donné le sportif va arrêter sa pratique compétitive.

Elodie : Plus tard, c’est maintenant, tu ne sais pas ce qui peut arriver demain. Le danger est de vouloir tout calculer, tout planifier… et d’oublier de vivre. Et vivre, c’est accepter l’incertitude, et aborder chaque l’évènement comme quelque chose d’unique. Et il faut aller jusqu’au bout de ses convictions.

Valentin : Mes grands-parents, ils ont économisé toute leur vie pour un voyage le jour de leur retraite qu’ils ne feront jamais. Ma grand-mère est morte d’un cancer deux jours avant la retraite. Je ne ferais jamais ça, je veux profiter de chaque instant. C’est la vie. Si tu as profité de la vie à chaque instant, l’avenir n’est plus inquiétant. J’ai fui ce système quand on m’a dit qu’il fallait que j’assure mes arrières, … C’est quoi mes arrières ? C’est juste aujourd’hui et maintenant que je trouve ma vie, … et développe mes compétences.

Quand je vois une personne bloquée sur son passé, elle risque de louper trop de choses dans sa vie. Il important de se réconcilier avec son passé. C’est bon ? C’est fini ? On se met d’accord. J’ai vu trop d’athlètes finir leurs carrières avec des regrets : « oui, j’aurai du, j’aurai voulu faire ceci ou cela … »
Aujourd’hui, je fais ce que je veux. Ma carrière peut s’arrêter demain, elle va peut-être s’arrêter dans 20 ans, je n’en sais rien, cela ne me soucie pas. Du moment où je suis en accord avec moi-même, que je suis allé au bout de mes convictions, au bout de ma création.

FD : Il n’y a plus de problème de re-conversion.

Valentin : Non, je le vois dans la façon où j’ai construit mes relations avec mes partenaires, cela me sert dans la vie de tous les jours. Mais c’est un travail quotidien.

Elodie : Je vois plutôt mon avancement dans la vie comme le prolongement de ce que je suis. La dépression menace lorsque la vie est désincarnée et que les choses ne sont pas construites avec du désir et du sens. A l’issue de ma carrière sportive, je ne pense pas du tout tomber dans une quelconque dépression.

Valentin : Dans la mesure où je me suis construit en tant qu’homme au travers du sport de haut-niveau, demain ce sera dans d’autres domaines, sans renier mes valeurs et m’appuyant sur les compétences développées pendant mon parcours de sportif. Je serais toujours dans la performance, ma performance.

FD : Cette conception de la performance a un prix. Cela suppose de sortir de sa zone de confort et se prendre en main. Ce n’est pas facile !

Valentin : Oui là, on est à Font-Romeu, …. En cette période de stress généralisée liée à la COVID, on a décidé de venir ici en cette période pour notre bien-être mental avec la conviction que l’on sera plus performant après.
Bien sûr que l’on n’a pas les mêmes équipements et encadrements qu’à l’INSEP. Peut-être nous manquera-t-il quelques indicateurs de suivi et la planification sera peut-être un peu ajustée par rapport à ce qui est écrit sur le papier. Cela peut faire peur aux entraîneurs mais cela ne nous fait pas peur. Tout n’est pas cadré de A à Z. Et alors ? La façon dont on va gérer un évènement, une situation de compétition n’est jamais écrite à l’avance. Et l’on voudrait que tout soit réglé avant la compétition. Ce n’est plus la vie. La vie n’est qu’une succession d’imprévus.

Et cela demande énormément de travail et de réflexion de la part de nos entraîneurs qui étaient dans un schéma plutôt classique. Ils ont bien compris notre démarche. Notre psychologue nous a aidé à bien comprendre qui on était et mettre des mots sur notre démarche. On est dans le présent, dans le vivant et … écrire les choses sur deux ans, ce n’est pas possible. Et ce n’est pas pour autant que notre objectif n’est pas clair.
Alors que ce n’était pas prévu, on a décidé une semaine avant, d’aller s’entraîner à Font-Romeu. Certains ont dû penser que cette décision a été prise sur un coup de tête. Non pas du tout, on a pris une décision, murement réfléchie. Cette démarche nous aide dans la compétition. En escrime, si à un moment donné, il faut mettre la touche comme ça, il faut que tu sois capable de le faire. Sinon tu vas finir ton assaut en disant à l’entraîneur « oui, mais c’est le truc qu’on avait vu, et j’ai fait ce que tu m’avais dit de faire, … ». L’entraîneur aura beau jeu de dire : « Tu as fait ça, mais il ne fallait pas faire comme ça. » Trop tard, il faut se préparer à l’imprévisible et cela suppose d’être toujours dans le vivant, en prenant des décisions plus ou moins bonnes en situation.

Pascal Clouvel (entraîneur d’athlétisme) : Une des raisons de l’échec de nombreux échecs d’athlètes vient du fait que beaucoup de sportifs et entraineurs sont formatés par les apprentissages et sont tributaires des contenus d’entraînement qu’ils ont appris. Même si l’on fait des séances communes, je ne propose pas les mêmes choses à Elodie et à Valentin. Ma démarche s’inscrit dans un travail d’écoute pour comprendre comment chacun procède, ce qui les anime, leur posture et leur attitude pour résoudre une situation qui leur pose problème. Et le gros défaut de nombreux entraîneurs, est qu’ils sont persuadés d’avoir la science infuse, parce qu’ils ont ingurgité des contenus, parce qu’ils ont lu les bouquins de Piasenta ou de tel autre entraîneur. La manière de fonctionner de chacun n’est pas inscrite dans les bouquins. La science infuse malheureusement, n’existe pas.

Je n’apprécie pas les entraîneurs trop démonstratifs qui sortent systématiquement la boite à outils sans savoir quel est le problème ni quel serait le meilleur outil pour le résoudre.

Valentin Belaud

Valentin : Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas être curieux de ce qui se fait et de l’évolution des connaissances scientifiques. Je crois fondamentalement que le plus est l’ennemi du bien. La plupart du temps, il ne s’agit pas d’en faire plus mais mieux. Je prends énormément de plaisir à travailler avec mes entraîneurs parce qu’ils ne sont pas dans la surenchère permanente. Je n’apprécie pas les entraîneurs trop démonstratifs qui sortent systématiquement la boite à outils sans savoir quel est le problème ni quel serait le meilleur outil pour le résoudre. La question essentielle est moins de disposer d’un énorme registre que de choisir et d’utiliser les outils appropriés. C’est la même question à laquelle nous sommes confrontés en compétition. On peut disposer de toutes les informations sur la façon dont on devrait s’y prendre, il nous incombe de faire un choix. Le rôle de l’entraîneur est de nous aider de faire un choix parmi l’ensemble des possibles. C’est toujours très difficile car l’entraîneur sait qu’il doit donner une infime information, parfois juste un mot pour nous aider à prendre la bonne décisionCela rejoint le travail que l’on fait avec Armelle sur l’optimisation de notre perf. En escrime, il ne s’agit pas de vouloir « tout » mettre sur une touche mais être capable de mobiliser ton corps avec la plus grande finesse pour mettre « ta touche ». L’acquisition de cette compétence exige du temps en situation. Tu auras peut-être « tout » bossé pour te préparer à la compétition, mais la compétition relève de la contingence. Prendre la bonne décision au bon moment et être efficace. Et ça c’est assez fin et cela prend du temps pour accéder à la haute performance. On n’a pas besoin d’encyclopédie.

Elodie : Sinon, tu es dans le trop. J’ai juste envie à l’entraînement et en compétition d’être bien avec mon corps, juste avec moi-même … dans toutes les circonstances. « Être » tout simplement. Quand je ne suis plus en accord avec moi-même, je ne suis plus alignée. Ça part en live, je peux tétaniser, … mon bassin n’est plus bien placé, … C’est l’exigence que je m’impose dans ma démarche pour être plus performante. Mais être en permanence disponible à l’écoute de soi est aussi une contrainte.

Valentin : Notre exigence de liberté consiste à n’accepter aucune contrainte qui n’ait pas de sens pour nous… Notre quotidien est déjà tellement contraignant. Mais je suis convaincu que pour accéder au plus haut-niveau de nos performances, il nous faut être libre. Effectivement, ce discours sur la liberté peut paraître peut-être bizarre de l’extérieur. On vit en permanence en liberté.

Elodie : C’est comme un artiste dans l’acte de création, tu lui dis de faire telle chose, ou telle chose, Non, il faut que cela vienne de lui et ait du sens pour lui. Il faut qu’il soit libre.

FD : Fred Vergnoux, entraîneur de l’équipe nationale d’Espagne propose une analyse « les entraîneurs de natation ont des cultures de l’entraînement qui sont identiques. « Ils arrivent à la piscine, écrivent les plans d’entraînement au tableau, sortent les chronos, … Ils oublient l’essentiel qui et de savoir dans quelle disposition est l’athlète à ce moment-là. Un moment important de l’entraînement est lorsque l’on se retrouve au bord des bassins et que l’on se salue. Comment vas-tu ? …pas forcément besoin de trop de mots dans la mesure où on se connait bien. Juste une attention. Et en fonction de la disposition de mes athlètes, j’ajuste le contenu de mon entraînement. J’avais prévu ceci mais la situation m’engage à proposer cela. »

Elodie : Oui mais il y a des systèmes et des entraîneurs qui n’acceptent pas cela. Ils pensent que tu dois être toujours disponible, de bonne humeur et en pleine forme. Avec certains entraîneurs, je n’avais pas le droit d’être fatigué, d’être moins bien.

Valentin : Tu n’es plus dans le vivant, tu es dans une mécanique.

Pascal : « Il n’est pas bien, il est fatigué, il va louper une séance dans la semaine… » C’est à l’entraîneur à être attentif à son athlète. « Tu as des cernes, tu es fatigué, ce n’est pas grave prend une journée de repos et tu reviens demain et tu te sentiras mieux. » Il faut parfois être capable d’en faire moins pour mieux le faire, et là tu es dans la vérité.

Valentin : C’est peut-être peu le mal du sport français. Plus tu réussis plus tu peux avoir un cadre que tu choisis, fixer les règles, les contenus d’entraînement, …. Paradoxalement, c’est à ce moment-là tu risques te perdre parce que tu as voulu tout y mettre… Et là tu perds le contact de la vie et du vivant. La liberté c’est de continuer à y a aller, à chaque fois on part de la feuille blanche, et il va y avoir plein d’imprévus et nous on va s’entourer des bonnes personnes qui savent que l’on travaille comme ça.

Pascal : J’ai travaillé avec les sapeurs-pompiers de Paris. La plupart ont été formaté par l’ordre tel quel, par l’ordre pour l’ordre. Ils sont formatés à obéir. Or, pour moi, pompier, cela ne consiste pas à obéir à un système militaire, mais d’être au service d’un projet bienveillant, au service des gens, qui va déterminer la façon de s’organiser. Par exemple, Valentin, l’année dernière, a décidé d’intégrer le vélo dans sa préparation. « Cinq sports cela ne lui suffisait pas, il en a rajouté un sixième. » ont dû penser certains.

Il faut comprendre ta démarche, sinon tu vas à la faute.

Valentin Belaud

Valentin : Sauf que pour moi, il y avait tout un raisonnement en amont. On a longuement échangé avec Vincent Luis et l’ensemble de son team lors du 1ier confinement avec l’équipe de France de triathlon. C’était super ! En discutant, ils m’ont fait entrevoir tout ce que le vélo pouvait m’amener dans ma performance. Je sais pourquoi je vais faire du vélo. En pentathlon, jamais personne n’a fait du vélo pour s’entraîner. Il est vrai que tu sors du cadre. Mais, le vélo je le pratique de manière hyper professionnelle. Trouver les réglages pour la bonne position, je ne voulais pas me niquer le genou, ne pas aller à chuter, … Grace à ces discussions, j’ai pu construire et amener le vélo dans ma préparation. J’avais prévenu tous mes entraîneurs car on savait que le vélo allait amener un changement de position, ce que cela pouvait resserrer mes psoas, … Mais une fois que tout cela a été réfléchi, on pouvait faire ce que l’on voulait. Le surf, je sais ce que cela va me faire, cela aura tendance à me « replaquer », et je sais que j’ai besoin de plus d’aérien… mais c’est ce que j’aime bien, j’adore jouer dans le déséquilibre. Et donc je m’éclate en surf. Prendre des décisions dans un milieu incertain, chaotique, vivant, qui me stresse. Et du coup, je sais pourquoi je vais à l’océan, pourquoi je surfe, … et ce que je dois travailler derrière pour éviter de dériver de mon projet. Il me faudra retrouver de l’aérien derrière pour me ré-ouvrir, sinon c’est contre-productif, avec la course, avec les autres épreuves.
Et avec nos différents coachs, si tu expliques à quoi ça sert pour ta performance, tu peux faire ce que tu veux. Si tu n’as pas eu cette réflexion là et échanger avec les entraîneurs, dans ce cas, c’est vrai que le vélo ou le surf ne va pas t’apporter. Et tu vas prendre des risques énormes. Il faut comprendre ta démarche, sinon tu vas à la faute.

FD : Dans la mesure où ton projet est clair, tu vas dériver un peu parce que tu penses que dans tel domaine tu vas trouver des éléments de réponse qui concernent ta pratique et qui vont enrichir ta performance. Certains pourraient dire, ils sont dispersés…

Valentin :  On n’a pas pris la décision de faire du vélo sur un coup de tête « tiens, on fait du vélo et demain on fait une étape du tour. » Pour moi le coup de tête, ça n’existe pas. En fait, personne n’a de coup de tête. Toutes nos décisions sont pensées. Si à un moment donné, tu es décidé de partir sur quelque chose de nouveau, c’est que ton subconscient t’a dit pourquoi, sinon tu ne partirais pas. L’inconscient est important à écouter. Ça a germé là-haut, et il faut de faire confiance pour te dire que si ton subconscient t’a amené là, ce n’est pas par hasard. Il est important de s’écouter. Avec Elodie, on a des envies nouvelles mais on ne sait pas pourquoi on a envie d’aller vers là. Ça nous nous interroge et c’est super intéressant. Voilà pourquoi, souvent, on n’a pas la réponse sur le coup, et sommes incapables de l’expliquer à une personne extérieure. Et le système exige des explications claires.

FD : Vous avez tous les deux l’esprit de compétition, différemment.

Valentin : Auparavant en pentathlon, c’était une forme de soumission à des protocoles, à des décisions, on va bosser, on va faire ça, ça, ça et ça. Ce qui ne nous convenait parce que j’éprouvais le besoin d’aventure pour exister et performer. Avec le recul, ce qui est terrible, c’est que j’étais tellement déterminé à réussir que s’il y avait eu une machine à champion olympique, j’y serais allé en fait. Ce que vous montrez, ça gagne … et moi je veux gagner. Le système nous fait croire cela. J’avais tellement appris la docilité que j’aurai demandé à entrer dans cette structure.

FD : On n’est pas loin du syndrome de Stockholm, la victime qui développe une certaine empathie avec son bourreau. De manière caricaturale, c’est l’histoire du prisonnier qui veut retourner en prison parce qu’il ne peut plus se passer de son gardien et de sa cellule.

Valentin : Aujourd’hui, ce n’est plus le résultat en compétition qui m’anime en premier. J’ai besoin d’être relié, d’avoir un fil conducteur. Il faut que je me raconte une histoire. Je ne sais pas quel est réellement mon moteur. Plus que le résultat, c’est le chemin pour y arriver qui m’intéresse. Plus que la médaille olympique en soi, c’est toute cette histoire et le chemin pour y parvenir qui m’anime.

Aux jeux, j’ai envie d’être une femme forte.

Elodie Clouvel

FD : C’est le processus que tu vas engager qui t’importe… avec la médaille comme aboutissement. Tu vas développer des compétences, être confronté au doute, à l’échec, … et créer les conditions de la rencontre avec l’autre (ton entraîneur, les autres athlètes, …).

Elodie : Aux jeux, j’ai envie d’être une femme forte. Ce qui m’importe, c’est de me sentir bien dans mes baskets, de … me dire que j’ai progressé humainement en tant que femme et là, je pourrais être forte. Mon but premier n’est pas d’écraser les autres. Je veux me réaliser moi-même. Si je me préoccupe des autres, je suis foutue. Les autres ne vont pas me servir à me sublimer. Mais je suis quelqu’un de fondamentalement hyper déterminée et hyper compétitrice. C’est la compétition qui m’anime, c’est mon moteur.

Pascal : Ce sont deux guerriers, … deux guerriers bienveillants avec leurs adversaires. Ils ne nourrissent pas de la haine de l’adversaire.

Valentin : Je veux juste donner le meilleur de moi-même. Moi, je ne porte pas attention à mes adversaires, ils pourraient ne pas être là, ce serait pareil. Mon projet est plus fort que de battre des adversaires, et cela que je veux habiter. Et c’est comme ça que je me sens fort. Dès que je tombe dans le truc de vouloir battre quelqu’un … cela va à l’encontre de mes valeurs. Ce n’est pas mon but, je ne veux pas avancer en écrasant quelqu’un. J’ai horreur de ça.
C’est pour cela qu’à un moment donné j’ai fui le groupe, car en France, ils sont en mode commando. Ils veulent un leader, que chacun ait un poste dans le groupe, … J’ai horreur de ça. Tu dois juste prendre le poste de ta vie à toi. Mais avancer en déterminant :  » toi tu vas être devant, toi derrière, toi au milieu, … » ???
A l’époque, on n’avait pas conscience de la notion de groupe. On l’a redéfini par rapport à notre projet dans une logique de collaboration choisie. Aujourd’hui on est ensemble, on va adhérer mais demain on est libre, on fait autre chose. Là je peux avancer avec du monde. Mais le truc, t’as un leader, tu as des suiveurs, c’était destructeur pour moi. Tout le monde est leader de sa vie, tout le monde.

le truc, « on est des fous, », ce n’est juste pas possible.

Valentin Bélaud

FD :  Mais le mode Commando, ce n’est pas construire des cabanes et chanter comme des boys scouts. Le groupe peut rendre plus forte une équipe et permettre à chacun de se révéler à lui-même. Les marches au rythme et les chants militaires étaient destinés à sublimer le groupe. Plus soudés, n’est-on pas plus fort ? Est-ce qu’à un moment donné, il n’y a pas là de la performance à aller chercher ?

Valentin : Peut-être, à condition que le groupe n’efface pas les singularités et ne constitue pas un groupe, juste pour afficher que l’on est un groupe. C’est compliqué de créer une dynamique collective ensemble alors que chacun poursuit un objectif individuel et que chacun une façon qui lui est propre et lui appartient, de se trouver et de se sublimer. Le groupe peut t’aider à te construire mais il peut aussi te détruire en créant une adversité malsaine.

Elodie : Je connais des entraîneurs qui adorent quand leurs athlètes se donnent à fond à l’entraînement et qui les encouragent par des discours guerriers « on est des fous, on est des malades » … Il m’est arrivé d’être fatiguée avec l’incapacité à ma tête et à mon corps de suivre. J’aurais eu besoin ce jour-là d’un entraînement plus cool. Et on me répondait « allez, tu y vas quand même, tu y vas, … » et j’y allais à l’usure, et tu vas à l’usure. Moi cela ne me convenait pas. Peut-être parce que je ne fonctionne pas comme eux. Je passais pour quelqu’un d’un peu farfelue mais je crois que je n’étais pas comprise. Peut-être suis-je trop sensible ? Peut-être est-ce là mon tendon d’Achille… et peut-être ma force.

Valentin : Ce schéma est dépassé. Au début l’INSEP, était un établissement militaire, les premiers profs de sport étaient des militaires. Notre sport est d’origine militaire. Mais ça c’était dans les années 1950. Mon père était militaire, j’ai connu le système militaire, je vois ce que c’est. Je vois ce que ça peut amener, ça rassure des gens parfois aussi. Il y a des gens plutôt fermés, et ça les rassure d’avoir un cadre militaire, sinon ils sont perdus.
Aujourd’hui en 2020, on ne peut pas nous envoyer à la guerre comme à l’époque on allait « (casser) péter des chevaux », juste considérés comme un outil de travail. On le (casse) pète, on n’en a rien à foutre, ce n’est plus possible. Bien sûr que cela me brise le cœur, mais le plus important est de respecter une éthique animale. Même avec des athlètes, le truc, « on est des fous, », ce n’est juste pas possible. Pour moi, il est important que chacun à son niveau puisse se réaliser. Je sais qu’on ne sera pas tous champion olympique, mais là n’est pas l’essentiel.
L’important en sport est d’abord de prendre du plaisir. Certains sportifs, comme moi, aspirent à être champion. Pour cela, il est nécessaire de préserver le désir et le plaisir, d’être capable de se dépasser pour soi, de respecter ses valeurs et devenir « homme », … mais pas le truc bourrin (pour reprendre un langage de cheval).

FD : Mais ce n’est qu’après Rio en 2016, vous décidez de créer votre propre structure d’entraînement.

Si nous n’avions pas été ensemble, nous n’aurions pas pu nous engager dans cette voix.

Valentin Bélaud

Valentin : Cela a demandé du temps de réflexion. S’engager sur une démarche comme celle-là suppose une bonne dose de confiance en soi. Certains ont dû penser que cette démarche était une façon de refuser les contraintes. « Oui, Elodie et Valentin, ils font ce qu’ils veulent. » Et puis même lorsqu’on a le sentiment de nous mettre en mouvement, c’est tellement difficile de ne pas retomber dans les travers que l’on dénonce en se remettant dans un rail.

Elodie : Peut-être que l’on a commis des maladresses et que l’on ne savait pas forcément les mots pour clarifier le sens de notre démarche. Au début ils ont dû se demander : « mais qu’est-ce qu’ils font Elodie et Valentin à créer leurs propres structures. Ce truc n’est pas stable, ça va s’écrouler. » Moi je suis sûr de ce que je fais. On est stable parce qu’on est fort de nos convictions.
Pour ma perf, c’est dans cette approche-là que je serais la meilleure. Parce que là, je décide de tout. Mon corps quand il n’est pas bien je le sens. Si je sens qu’il ne faut pas que demain je fasse le contenu d’entraînement prévu, je vais faire autre chose, je vais adapter la séance, je vais le sentir.

Valentin : Dans notre sport, notre démarche est notre force. De nombreux pentathlètes auraient pu s’engager depuis longtemps sur cette voix de la liberté, mais se prendre en main et s’affranchir d’un système pour entrer dans la création est très difficile. Notre force est d’être arrivé, « en couple » à travailler ensemble. On a pu impacter plus fort et à un moment donné, proposer une démarche alternative. Seul, il est trop dur de larguer les amarres, notamment au moment où tu performes dans un système pour réinventer ta performance dans une nouvelle organisation. Si nous n’avions pas été ensemble, nous n’aurions pas pu nous engager dans cette voix. D’autant que dans le milieu du pentathlon, changer d’entraîneur, c’est mal vu, cela ne se fait pas, c’est insulter l’entraîneur dont on se sépare. Et c’est horrible !

FD : Le jugement des autres est souvent lié à leurs propres histoires et représentations. Il n’est pas facile de déposer les valises de l’ego et se fragiliser. De l’extérieur on pourrait penser que cette démarche pourrait concerner d’autres sports, mais elle concerne une discipline comme le pentathlon particulièrement conservatrice et plutôt traditionnelle.

Elodie : Oui, c’est la première fois qu’une telle démarche a pu voir le jour en pentathlon, c’est pour cela qu’au début, je pense qu’il y a eu de mauvaises compréhensions parce que certaines habitudes et représentations étaient bien ancrées.

Valentin : Ce n’est pas simple d’arriver à s’émanciper de ses propres représentations car elles sont liées à notre histoire personnelle et à ce que l’on nous a appris.

FD : La situation de compétition est toujours originale. Tu te prépares à affronter une situation qui ne sera jamais la même. L’entraînement permet de se préparer à l’aléatoire de l’évènement en situation. Voilà pourquoi, il est nécessaire de vivre de nombreuses situations différentes. Envisager le fait que chaque évènement puisse être différent, suppose d’accepter l’incertitude du résultat.

Elodie : Oui, c’est la confrontation au réel. Si tu commences à dire, oui ce n’est pas ma faute, il s’est passé cela, tu n’es plus dans le concret, tu es dans l’analyse. Mais on veut toujours échapper au réel. « Si c’est ta faute ! »

Valentin : Affronter la vie, nécessite en permanence de développer des compétences pour répondre à ce que la vie va te proposer. C’est devenir Homme. Tu ne sais pas ce qu’elle va te proposer, mais tu sais que tu vas te préparer, être prêt, de plus en plus prêt, en apprenant à chaque fois de tes expériences. Et nous, c’est cela qui nous éclate.
Demain, que je sois champion olympique ou pas, si j’ai donné le meilleur de moi-même, je n’aurais pas de regrets.
C’est trop facile de dire oui tu aurais ceci ou cela … Tu n’aurais pas dû te retenir, …. Mais si tu t’es retenu, c’est que tu avais autre chose. En réalité, on est toujours à chaque instant impliqué à cent pour cent de ce que l’on peut faire à ce moment-là. La difficulté est d’éliminer tout ce qui te parasite pour être plus performant. C’est comme la vie. Il faut poser ses valises et se libérer de ses chaînes pour exprimer toutes ses potentialités.

FD : Un des problèmes du sport français est que la réflexion se limite à analyser la performance en dehors des acteurs qui la font. Comme si la performance pouvait s’envisager comme une substance en suspension en l’absence de la personne qui va réaliser la performance. La performance n’est jamais écrite, elle toujours avènement.

Valentin : Notre performance ne se résume pas un alignement d’exercices, d’intensités, de volume, elle est pensée.
Florent Manaudou a travaillé dans la natation comme personne ne l’a fait avant lui. Il a trouvé sa façon de faire. Il a trouvé son naturel. Et ses résultats ne peuvent pas se réduire au fait qu’il a trouvé une manière unique qui lui est propre et singulière d’attaquer le bras tendu dans l’eau, mais essentiellement au plaisir qu’il a trouvé dans le groupe des marseillais.  « Je ne veux pas être tout le temps dans l’eau, je n’aime, pas ça. Moi, je veux être avec un groupe, je veux m’éclater. » En substance il a besoin de rayonner pour vivre et performer.
Denis Cergo, c’est un peu la même démarche. Il est devenu Champion Olympique en sortant du système fédéral deux ans avant les JO, non pas parce que ce n’était pas bien, mais parce que cela ne lui convenait pas.
Il est intéressant de s’appuyer sur ces réussites de ces sportifs qui sont devenus les meilleurs au monde dans leurs disciplines. Qu’est-ce que ça dit ?
Lors des Etoiles du sport organisés chaque année par le CNOSF depuis 2013, on rencontre plein de sportifs et on se rend compte que tous les parcours sont atypiques. Les échanges, trop rares avec les meilleurs sportifs français nous ont permis de comprendre quelles questions ces sportifs se sont posés et quelles solutions ils ont trouvé.

Elodie : Cela nous a fait un bien fou. On a échangé avec Marie-José Pérec, Tony Estanguet,

Valentin : Lorsqu’à l’époque j’avais demandé d’aller là-bas, cela a été un refus catégorique. « Il ne faut pas que tu skies, tu vas te blesser ; qu’est-ce que tu vas aller faire là-bas ? Tu vas aller faire, la fête, la beuverie… »
N’importe quoi. Là, je retrouvais mes valeurs : le partage et je crois que c’est peut-être là que j’ai commencé à comprendre et à m’émanciper.

Elodie : Tu peux avoir des rencontres magnifiques qui vont te booster toute ta vie.

Valentin : Ici, par exemple, on a pu échanger avec les jeunes du pôle pentathlon. On est devenu audibles parce que l’on a gagné des compétitions internationales importantes. J’ai envie que tout ce qui a été des freins pour moi soient des accélérateurs pour les prochaines générations. J’ai envie que tout le monde grandisse en même temps. Je n’ai pas envie de grandir tout seul.
Quand j’échange avec les jeunes, je me sens investi d’une mission. Si je ne le faisais pas, j’aurais l’impression d’être un salaud. Si je ne m’engage pas, après tout ce que j’ai pu dire, je ne serais pas en accord avec moi-même.
Je regrette que le sport ne soit pas reconnu à sa juste valeur par les institutions.


FD : Les sportifs sont trop encore considérés comme des « bêtes de foire », des jambes auxquelles il manquerait la tête. Des poulets sans tête, tu coupes la tête à un poulet, il continue de courir. Le sport est sous la tutelle du monde de la physio. On va donc toujours t’expliquer ce que tu dois faire. Or, la compétition est toujours l’histoire d’une rencontre d’un individu confronté à une situation nouvelle.

Valentin : On ne parle pas assez des valeurs du sport, ces valeurs qui au-delà de la performance, nous permettent de devenir Hommes libres. On peut toujours se plaindre, de se dire que l’on pas été avec les bonnes personnes, mais c’est nous, les sportifs, de nous remettre en question.
Plus jeune, j’aurais rêvé de ce genre de relation avec des sportifs. Mes contraintes d’entraînement pourraient m’amener à m’occuper uniquement de ma carrière, mais aujourd’hui j’éprouve le besoin d’être dans le partage avec les jeunes. Au moment où je suis dans le partage, je reviens avec plus de force dans mon projet. J’ai eu une force quand je l’ai compris, une force quand je l’ai mis en place, une force en plus quand je l’ai donné à quelqu’un. Ce n’est pas une histoire d’argent. Je ne t’ai pas donné un euro en me disant que j’ai un euro en moins. On partage nos valeurs et on offre nos expériences et nos convictions.

Pascal : Les sportifs doivent être les ambassadeurs de leurs sports et leurs donner la parole. Ils ont une mission de transmission.

Élodie : Ça me fait du bien de transmettre.

FD :  Le fait que vous ayez fait vos preuves en performant individuellement et que vous soyez un couple vous a donné la force de créer autre chose. Vous avez réussi à changer le point de vue de vos entraîneurs, de la fédération. C’est déjà une réussite, quoi qu’il arrive, quels que soient les résultats. Sortir d’un modèle de représentation de la performance qui ne vous convenait pas au dû faire tousser la fédération.

Elodie : Oui mais maintenant, ils nous soutiennent à 100%


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