Rencontre des Druides de la natation à Font-Romeu

Le temple du sport de Font-Romeu

Ici dans le plus grand secret, est célébrée la performance.

Ce n’est pas la forêt des Carnutes mais le parc naturel de Cerdagne où trône depuis 1967 le temple du sport de Font-Romeu. Venus essentiellement de la région du Languedoc-Roussillon, les entraîneurs de natation se sont retrouvés cette semaine à la Cité de l’Excellence Sportive pour partager leurs expériences et leurs secrets.

Rien à voir avec ces sorciers adeptes de la fabrication de potions magiques. Plutôt des maîtres dans le sens d’enseignants, des gardiens de la mémoire.

Ni toge ni longue barbe blanche, Richard Martinez entraineur du Pôle France de Font-Romeu  accueille ses jeunes paroissiens dans le manteau de brume annonciateur de l’hiver.

Richard Martinez, une oreille, un oeil, une voix

Ici dans le plus grand secret, est célébrée la performance. Ni colloque, ni grande messe. Ni certitude, ni vérité. Pas d’experts ni de journalistes. Dans les coulisses de l’exploit, les entraîneurs se retrouvent ici à l’ombre pour partager leurs expériences, leurs doutes et leurs convictions. Leur temple est la piscine et leur foi est dans l’exigence de l’entraînement quotidien.

« Depuis la rentrée scolaire de septembre, la vingtaine de nos nageurs a parcouru environ 350 kilomètres à la nage à raison de deux entraînements par jour auxquels se rajoutent trois séances hebdomadaires de musculation depuis début octobre» rappelle Richard M. « La natation a beaucoup évolué ces dernières années. On s’est rappelé que l’essence de la natation consistait à se déplacer plus vite d’un endroit à une autre. L’alignement postural est donc fondamental non seulement pour offrir le moins de résistances possibles à l’avancement mais également pour produire une force propulsive économique et efficace. L’entraînement exige aujourd’hui un travail extrêmement fin sur la glisse notamment pour conserver la vitesse initiale en-dehors des actions propulsives. Chacun doit donc trouver son meilleur équilibre postural et une  technique adaptée à son gabarit et ses qualités pour se déplacer plus vite. ».

Chaque entraineur compose, expérimente, bricole. Tel un grand chef cuisinier, il compose les menus par de subtils dosages de saveurs, de couleurs, d’odeurs en fonction de l’humeur et des produits de saison. Une histoire d’alchimie, de pupilles et de papilles. Ici chacun présente son approche, sa vision, ses contraintes, et élabore des hypothèses pour se projeter dans les performances du futur.

La performance, singulière et fugace, résiste à toute tentative de modélisation.

Après les sept médailles (dont quatre en or) remportées par la France aux Jeux Olympiques de Londres, les entraîneurs de natation mesurent bien l’importance de se retrousser les manches pour relever le défi des prochaines échéances internationales.

Le pari est d’autant plus difficile que tous ces nageurs en couveuses tentent de conjuguer sport de haut niveau et études. Des emplois du temps infernaux. Pas vraiment le temps pour ces jeunes de flâner ou de se bécoter sur les bancs publics. Dans la contrainte, les meilleurs arrivent cependant à créer les conditions de leur liberté en affichant des chronos prometteurs.

Parmi eux, un jeune sociétaire du Pôle France de Font-Romeu, Dylan Lavorel du Surf Club de Poindimié (Nouvelle Calédonie) a réalisé cet été la meilleure performance française cadet au 50 m, 100 m et 200 m dos.


Dylan Lavorel tout en détermination.

« Si l’on me demande quel est le nageur de mon groupe qui a le plus haut potentiel, je n’ai pas la réellement la réponse. Bien sur, nous disposons de plus en plus d’indicateurs que nous affinons au fur et à mesure de nos expériences partagées et de l’évolution de nos connaissances dans le domaine de l’entraînement. Mais les indicateurs renseignent uniquement sur la situation actuelle. En quoi ces indicateurs garantiraient une performance ? La performance s’inscrit dans un processus de maturation. Notre rôle n’est pas de prédire l’avenir mais de créer les conditions nécessaires à cette maturation. »

Lorsqu’il regarde dans le rétroviseur, Richard Martinez évoque le parcours de Camille Lacourt (champion du Monde du 100 dos en 2011) dont il s’occupait au Pôle France de Font-Romeu également à l’âge de 16 ans.

« Difficile de comparer ces deux nageurs aux gabarits, aux caractères et au parcours différents…mais ces deux là disposent d’une qualité de glisse exceptionnelle. La difficulté de l’entraîneur est de percevoir son nageur dans toute sa singularité afin de savoir comment on peut les aider à se réaliser dans leur performance. »

Un destin n’est jamais écrit. Loin des idées reçues, un nageur n’est pas un assemblage de qualités supposées garantir l’accès à l’excellence. Un nageur ne se fabrique pas. « Dans un environnement aussi contraignant, il est essentiel pour accéder au très haut niveau que les nageurs ne subissent pas leur entrainement comme s’il s’agissait de quelque chose en dehors d’eux, mais qu’ils se l’approprient pour devenir l’auteur d’eux-mêmes » précise Richard Martinez.

Le haut niveau ne peut s’envisager comme un ajustement de plaques de contreplaqué avec lequel le nageur est supposé construire la maison de sa performance, mais plutôt comme un arbuste à observer, écouter, accompagner pour l’aider à grandir à son rythme.

Un peu à l’image de l’« arbre diapason » de l’artiste Italien Giuseppe Penone, «  l’oreille posée contre le tronc d’un arbre pour écouter ses années de croissance, pour écouter le bruit du vent qui coule dans les branches, le tronc, les racines jusque dans la terre. Poser son oreille et frapper le tronc de l’arbre. Chaque essence d’arbre un son, chaque jour de l’arbre un son différent (…). Sur le bout des doigts, le dessin du son. »

Percevoir les sonorités de son nageur. Un son qui exprime une matière, un environnement, une identité, une singularité. Le son esquisse une forme, un trait, un caractère, une sensibilité, une détermination, une parole, un voix…autant d’éléments qui participent de la personnalité d’un nageur et qui vont permettre à l’entraîneur et l’athlète d’écrire ensemble leur partition.

« L’entraîneur est dans la position de ce « sage sans idée » dans le sens où il n’en avance ni n’en privilégie aucune. L’entraîneur est sans position arrêtée et laisse ouvertes toutes les possibilités. Le partage de connaissances, d’expériences ; la confrontation des points de vue, permet ainsi de dégager des hypothèses plus pertinentes et d’ouvrir de nouvelles perspectives. Cette forme de mutualisation et de co-production des acteurs de terrain est constitutive du patrimoine sportif de la natation française. Cet aspect est une condition essentielle à son maintien au rang des meilleures nations mondiales. » souligne Richard M.

Si le temps de la guerre des chapelles et des écoles n’est pas totalement révolu, les entraîneurs ont mesuré toute l’importance de se respecter et de s’apprécier dans leurs différences. Pas de mentor. Pas de hiérarchie. Chaque entraîneur porte en lui, une histoire, un tempérament, une éducation, une culture, des valeurs qui lui appartiennent. Dès lors, le point de vue de chacun devient important. Les entraineurs ne cherchent pas une vérité cachée mais situent leur démarche dans une remise en question permanente. La performance, singulière et fugace résiste à toute tentative de modélisation.

La parole de l’entraîneur avance dans le noir

Son point de vue d’entraîneur est d’abord déterminé par sa position d’observateur et de témoin privilégié de ses nageurs. Sur le bord des bassins, la communication reste pourtant laconique. Peu de phrases résonnent. « Je voudrais ne point parler » dit un jour Confucius à ses disciples. Les regards et le chronomètre parlent plus que les mots. L’usage de la langue est un art extrêmement difficile pour un entraîneur. Identifier un détail, un mot, une couleur, un sentiment, puis trouver et prononcer un mot, une consigne supposée modifier le tout.

La parole de l’entraîneur avance dans le noir, car elle est toujours en questionnement. Tout l’art de l’entraîneur est de porter ses sensations, ses convictions en mots supposés toucher leur cible. « Les mots ne vibrent et ne répandent leur fortes ondulations que s’ils ont comme la flèche, frappé très exactement au cœur précis. C’est alors qu’ils résonnent comme des projectiles centrés juste…Les mots sont comme des cailloux, les fragments d’un minerai qu’il faut casser pour libérer leur respiration. La parole ne se communique pas comme une matière marchande, comme une denrée, comme de l’argent, elle se transforme, elle passe et elle se donne. Les mots ont toujours été ennemis des choses. »[1] 

Le mot anglais  » to crawl  » signifie ramper. La glisse de ce jeune nageur de 1500 m est stupéfiante. Samsung NX20

Richard Martinez confirme : « Notre soucis d’entraîneur est de trouver ces mots justes, susceptibles de créer des images, des représentations et des sensations pour permettre à nos nageurs de trouver les repères qui traitent du corps en mouvement. Il s’agit de renoncer à un langage descriptif statique des techniques de nage et faire l’effort de trouver les mots qui permettent à nos nageurs de concevoir leur nage dans ce milieu fuyant, d’élaborer une gestuelle, une cinétique, une dynamique qui leur est propre afin de nager plus vite. »

Mis en lumière le temps d’une médaille olympique, les entraineurs ne se racontent pas. Dommage ! Toute victoire semble porter un pouvoir amnésique sur tous ces moments d’inquiétudes, de doutes et de renoncements dans cette quête perdue d’avance de la performance absolue. Il est vrai que ce n’est pas lorsque l’athlète monte sur le podium que l’entraîneur peut aborder ce questionnement existentiel. Le sujet passe donc à la trappe.

L’entraîneur est célébré comme un magicien, et l’athlète comme un être doué de qualités exceptionnelles. Invités sur les plateaux à raconter leurs histoires, nous livrer quelques recettes et anecdotes, on n’en saura rien de plus. Les gagnants nous expliqueront uniquement les raisons de leur victoire, et les perdants uniquement les raisons de leur échec.

Rarement, les entraineurs livrent leur quotidien. Ici, les entraineurs préfèrent rester à l’ombre pour aborder les choses essentiels, existentielles de leur métier d’entraîneur à l’avenir sans promesse.

Leur but premier n’est pas de créer « du nouveau » mais d’aider les athlètes à se découvrir dans des formes qui existent déjà en eux. Il s’agit donc pour l’entraîneur de dégager, de faire découvrir et non de sculpter un nageur. A l’image de l’arbre de Penone, il s’agit « d’éplucher ainsi les cernes du bois pour retrouver l’arbre dans la matière ».

L’entraîneur s’efforce de faire apparaître cette forme cachée de l’intime, ce lieu secret où chacun accède à sa propre nature, condition indispensable pour se révéler à la création et accéder au mystère de la performance.

Francis Distinguin

Mission Formation/Haut-Niveau à la Cité de l’Excellence sportive de Font-Romeu


[1] Valère Novarina. Devant la parole. Editions P.O.L 2010

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