Sport de haut-niveau et entreprise. La haute performance en question.

La course est une expérience de la vie, « elle donne à vivre ». Elle donne à vivre parce qu’elle donne à éprouver, à sentir, percevoir, entendre plus vivement cette vie, mise en intensité par l’effort. La course a quelque chose de vrai à nous dire à propos de la vie, c’est le fait même que l’existence s’y trouve directement exprimée et interrogée au travers du corps, en faisant corps avec elle. Quand on court, on a une carcasse, un corps, des os, il y a aussi la peau, les muscles, les nerfs, les organes. Depuis notre plus tendre enfance, nous sommes éduqués à ne rien en savoir.

Ancien directeur commercial d’une entreprise du CAC 40, Michel Montiel nous raconte comment la course à pied a impacté sa vie. Un parcours, une expérience qu’il applique à quelque chose de plus subtil et complexe : l’art de vivre. C’est en pratiquant que les sportifs exposent ce qu’ils ont de plus personnel. C’est au milieu des contraintes que le sportif invente sa liberté. La course comme moyen d’éveiller l’être. Elle nous permet d’interroger ce que nos pratiques du corps et la recherche de la performance nous disent de la vie elle-même. 

Témoignage lors du SPORT-UP SUMMIT 2017 au CREPS-CNEA de Font-Romeu organisé par LRSET en partenariat avec la région OCCITANIE.

En quoi le sport, notamment la Course à Pied a joué un rôle important dans votre parcours de vie ?

La course à pied m’a accompagné tout au long de ma vie et joué un rôle majeur à tous les niveaux, autant au plan personnel, familial que professionnel. Je lui prête le nom de « Dame Course », comme si c’était une personne, une amie bienveillante, une confidente.

La course ne se résume pas à une énergie qu’il faudrait aller puiser au fond de soi. Elle me permet d’accéder à un état d’être, un état de pensée où les choses se décantent pour m’aider à mieux me connaître, surmonter et résoudre les difficultés de l’épreuve elle-même et de la vie en générale. Cette passion ne relève pas d’une démarche, égoïste, individualiste, tournée sur soi-même, mais je la vis comme une ouverture au monde, par rapport à moi-même (à considérer que je forme un monde), à mon environnement familial et à mes amis.

Dame course m’a permis de vivre. Jeune, j’aurais pu sombrer dans la drogue, l’alcool, faire des bêtises … On a beau avoir un parcours scolaire, universitaire, … Il y a certaines valeurs qui ne pourront être acquises qu’au travers d’expériences vécues. Cela suppose la capacité à les vivre, mais également à analyser ce que l’on a vécu. Et dans cette analyse, c’est se poser la question : ça m’a apporté quoi ? J’ai réagi comment ? Et à quoi, ça peut me servir ? Savoir aller chercher l’expérience du moment vécu et le projeter dans un moment de vie futur.

Affirmer que les valeurs du sport sont similaires à celles développées en entreprise est plutôt une thématique à la mode et un axe de reconversion de nombreux athlètes et entraîneurs reconnus.

De plus en plus souvent, on voit arriver dans le monde de l’entreprise des entraîneurs qui viennent nous expliquer, à nous, chefs d’entreprises, les valeurs du sport comme le dépassement de soi, la gestion collective d’une équipe, … et que ces valeurs sont importantes. Je suis récemment intervenu : « Oui, mais vous ne vous rendez pas compte que vous demandez les mêmes choses à vos sportifs que ce que nous demandons à nos collaborateurs. Mais vous ne les préparez pas à ça ! Très vite, vous tombez dans les mêmes travers que les entreprises, en exigeant de vos sportifs une productivité, une rentabilité et la réalisation d’objectifs.

Ce que vous demandez aux sportifs, ils ne sont pas prêts à l’entendre. » Le monde du sport est trop focalisé sur les médailles. La performance est évaluée aux succès et non sur les processus mis en œuvre. Lorsqu’un sportif commence à être reconnu. Tout va bien. II voit arriver des sponsors, des gens extraordinaires qui vont leurs proposer de l’argent… Mais pour l’athlète en difficulté, comment cela va se passer ?

Pour ce qui est de la relation professionnelle au monde de l’entreprise, il est également facile d’évoquer le dépassement de soi, notamment dans l’adversité. Lorsque j’ai eu à recruter des personnes, je me suis toujours intéressé à leurs profils extra-professionnels et universitaires. Ce qui m’intéresse est de voir comment le travail sur eux leur a permis d’affronter des situations de stress, des situations de vie, en préservant leur équilibre. Mener une grosse négociation, comme j’ai eu à en mener lorsque j’étais directeur commercial dans une société du CAC 40, est une épreuve toujours difficile. C’est comme un marathon. On peut vite sombrer dans l’abnégation, le renoncement. C’est là, où il faut aller chercher toutes les valeurs déployées dans le sport. Il y a des moments dans la vie professionnelle ou personnelle, où il faudra aller puiser ce souvenir du dépassement de soi que l’on a vécu dans le sport.  Alors oui, on va se challenger et on va découvrir certaines de nos limites mais qui n’auront de cesse d’être repoussées.

Chaque expérience vécue dans le sport amène à s’interroger : que se passe-t-il en ce moment ? Il s’agit alors de capitaliser sur les compétences développées en les portant à la colonne de l’actif. Et puis, à moment donné, ces compétences vont être mises à profit dans une période de vie, sur l’aspect professionnel et personnel. Mais ces compétences ne naissent pas comme ça, il ne suffit pas de lire un livre sur le sport pour comprendre ce que l’on va vivre.

Le dépassement de soi suppose de se connaître soi.  Il y a d’abord ce travail de connaissance de soi pour justement pouvoir se dépasser.

Oui, on sait d’où l’on part, mais on ne sait pas jusqu’où on peut aller. Lorsqu’on pratique un sport, on tombe vite dans le dépassement. On commence par 10 km de course, puis 20 km, et puis on va vouloir se challenger sur un marathon… Puis, le lendemain on va vouloir traverser les Pyrénées, vouloir courir en altitude, grimper en haut d’un volcan, … Effectivement, chacun va chercher à voir jusqu’où il est capable d’aller, et à accéder à une meilleure connaissance de soi. Repousser ses limites.

En ce qui me concerne, ce n’est pas vraiment le résultat de la course qui m’intéresse, c’est le chemin, le challenge vis-à-vis de moi-même. Essayer de comprendre comment le métabolisme va se comporter dans une zone qui est complètement obscure, en tout cas à mon intellect.

David Hockney

Quand je prends le départ sur une course de type Ironman, je ne suis pas sûr d’arriver au bout. Je ne sais pas comment va se comporter mon organisme. Que va-t-il concrètement se passer ? C’est une expérience vraiment remarquable. Au-delà de l’événement sportif, il y a réellement une rencontre avec soi. On se rend compte que, finalement, l’événement sportif et ses contraintes vont nous aider à dépasser nos limites, et ainsi nous apporter beaucoup de satisfactions. Il n’y a rien de plus perturbant qu’un événement que l’on n’a pas connu. Si en vélo, on prend une guêpe dans le visage, immédiatement les pulsations augmentent, le cœur s’emballe, on est complètement déstabilisé, on se pose des questions. Est-ce qu’elle m’a piquée ? Est-ce que cela m’a fait mal ? J’en suis où ? On perd cette espèce de concentration, de disponibilité, on sort de sa bulle. Il faut alors faire preuve d’une capacité à revenir dans la course, à se concentrer de nouveau et d’avoir pour objectif de terminer la course au plus vite possible.

La limite dont vous me parlez n’est pas la limite mais la perception de nos limites. La limite n’est pas une mesure. Vous allez la dépasser, car justement, vous allez apprendre à vous connaître à entrer dans cette zone obscure de vous, dans cet espace de non connaissance. Il me semble que votre plaisir est aussi d’entrer dans ces espaces-là.

Le mot entrée me convient très bien. J’allais évoquer des pièces dans lesquelles, on est invité à pousser des portes. C’est à dire qu’à un moment donné, on va dire : voilà, ça fait 8 heures que je suis dans l’effort, que va-t-il se passer dans la 9ème heure ? C’est le vide. On se raccroche aux indications des outils modernes connectés. « Le cardio commence à monter, qu’est-ce qu’il est train de se passer ? ». Là, on va dans la découverte.

Ce fameux « mur » du marathon est le moment où l’esprit vous dit : Non. Parce que ce n’est peut-être pas très humain de se faire violence à courir ainsi. Vivre ces moments, vous servira toute votre vie à condition d’aller chercher dans votre vécu, peut-être aussi dans votre imaginaire, des séquences de vie  assimilées au bonheur. Bonheur et confiance. Lorsque vous rentrez dans le dur, il faut absolument positiver. Parfois le corps vous dira non, parfois, c’est la tête. Vous allez rentrer dans une espèce de dualité en vous-même, où une partie de vous va dire : bon on s’arrête, on ne va pas continuer, cela ne sert à rien de se faire mal. Celle-ci est très séduisante car quand on a mal s’est facile de s’arrêter. Et la deuxième qui va consister à aller bousculer, contrarier cette voix qui vous pousse à vous arrêter par : non, pour quelles raisons devrais-je arrêter ? C’est l’histoire de ces fameuses portes, de ces fameuses limites.

Grâce aux compétences et expériences capitalisées tout au long de de sa pratique de la course, on va pouvoir se dire : bon, je vais ralentir, je vais mieux respirer, … je vais positiver. Le travail sur le mental doit permettre de vous dépasser au fur et à mesure des épreuves et d’aller au-delà cette fameuse limite qui n’existe pas. On n’a pas de limite, la seule limite que l’on peut avoir c’est une limite physique. Et encore que. J’ai vécu des expériences où j’ai vu des gens se surpasser alors qu’ils étaient réellement blessés. Ces expériences permettent d’acquérir un capital confiance pour aborder toute situation sportive, personnelle, et professionnelle.

La confiance est un aspect essentiel à la performance sportive.

Je pense à la magnifique performance de Yohann Diniz qui remporte les Championnats du monde 2017 de marche à Londres. Lorsqu’il reçoit sa médaille d’or, Yohann rend grâce à Louis Nicollin (le Président du club de foot de Montpellier récemment décédé) en lui dédiant sa médaille : « Après mon échec à Rio, j’ai perdu mes sponsors et j’étais au fond du trou, et c’est la seule personne qui m’a appelée en me disant « moi j’ai confiance en toi, je sais que tu peux faire et je vais je t’aider. »

Yohann Diniz. Champion du Monde 2017

Encore une fois, on voit l’importance de la mise en confiance. Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais il avait certainement des paramètres biologiques défaillants pour affronter ce genre d’épreuve. Peut-être était-il trop seul dans son monde. Peut-être, lui a-t-on trop dit : « marche, marche !!! ». Si Yohann Diniz avait manqué ce rendez-vous, il aurait peut-être vécu son parcours comme un échec. Le soutien de sa famille et le soutien d’un personnage comme Nicollin, lui a permis de développer une certaine résilience, par rapport à une situation personnelle, familiale et professionnelle difficile. Surtout après tant d’années d’entraînement et de compétition à très haut niveau. Il existe une forme de violence dans le sport de haut niveau. Son succès lui a ouvert des portes en le projetant comme parrain Paris 2024, …son parcours, son expérience pourra certainement apporter beaucoup à la communauté.

La confiance joue un rôle essentiel dans tout ce que l’on fait. Dans un autre registre, j’ai été récemment très impressionné par des tableaux dans un restaurant. Le peintre, frère du restaurateur, n’avait pas une estime de lui suffisante, ni de repères, ni de contacts dans le milieu de l’art pour vivre de sa passion. Je l’ai mis en relation avec des galeries et en quelques mois, il a gagné une réelle notoriété et expose aujourd’hui dans plusieurs galeries de qualité.  « Michel, je ne sais pas comment te remercier ? Mais non je t’ai aidé à te révéler à toi. Mais tu m’as porté vers d’autres chemins. Nos chemins se sont croisés et l’on marche un peu la main dans la main. » Je ne lui dis pas : « peins », « peins », « peins », mais : « réfléchis à ta démarche, Prend le temps de penser à ce que tu veux faire et par où tu vas aller. Est-ce que tout ce que tu fais va t’amener à ce que tu veux être ? » Je l’amène à creuser en lui-même.

Le temps est un vrai sujet de la performance. Pris par l’urgence, les athlètes doivent performer au plan scolaire, au plan sportif. Le système n’est pas organisé pour penser leurs vies. Ils ont tendance à obéir et s’absenter. Préserver la disponibilité à soi, à l’autre, à l’environnement est pourtant une condition d’épanouissement et d’accès au bonheur.

Aujourd’hui on vit dans le monde de l’immédiateté. On doit réaliser trop de tâches en même temps. Et malheureusement, on n’est pas dédié à un événement. La meilleure façon de se planter sur un événement sportif, sur une compétition, c’est de ne pas être présent au jour J, présent avec soi-même et son environnement, il faut être mono-tâche. Et c’est là où il va falloir rapatrier tous les acquis, l’expérience et les connaissances pour aborder l’épreuve.

Dans le monde de l’entreprise aujourd’hui, les gens ne sont pas assez présents. Ils ne sont pas vraiment dédiés à leurs missions et ne vivent pas pleinement leur journée de travail. La loi autorise l’utilisation des téléphones portables pendant le travail mais il évident que ces éléments extérieurs perturbent la concentration. Je préfère que me collaborateurs (trices) prennent 15 minutes à passer des coups de téléphone personnels plutôt qu’ils soient démobilisés en permanence. Il faut être dans une bulle intellectuelle et physique pour être totalement mobilisé à l’événement.

Quand vous entrez en négociation, il faut quasiment avoir la posture d’un sportif. Bien des fois, avec beaucoup d’humilité, il m’est arrivé de me retrouver en face d’un acheteur et d’être convaincu que j’aurais l’ascendant (même si le dernier mot lui appartient). Par son attitude, sa posture… je savais que physiquement, il n’allait pas être prêt pour tenir la distance et que la négociation allait être intéressante. Et c’est en ça, que ce jour-là, j’étais content d’avoir développé ces capacités dans mes activités sportives et de m’être forgé le mental pour aller dans cette relation.

Le chef d’entreprise est également confronté à la gestion du temps. Quel temps je m’accorde au regard de la nécessité de développer mes compétences ? Comment être efficace dans le temps que je m’accorde ? C’est également une histoire de disponibilité. Mes amis, chefs d’entreprise, se demandent comment j’arrive à concilier mes contraintes professionnelles et une pratique assidue du sport. Ma réponse est de leur dire qu’il est facile de trouver des excuses : « Je voulais aller courir ce matin, mais j’ai un dossier à préparer ». Non, moi, pour les rendre plus performants, je les inviterais à prendre des rendez-vous avec … eux-mêmes. Quand je dis prendre des rendez-vous avec eux-mêmes, c’est prendre un agenda et se dire : là, j’ai un rendez-vous vendredi de 17 h à 19h avec moi-même. C’est-à-dire, je vais aller me challenger, je vais aller courir, je vais réfléchir.

Réfléchir et prendre des décisions ?

J’ai toujours pris les grandes décisions de ma vie dans un contexte sportif qu’elles soient personnelles, familiales, professionnelles. Alors que j’occupais des fonctions très importantes, j’ai pris la décision de quitter ce groupe parce que je bossais 15 heures par jour, je ne voyais pas grandir mes enfants. Je me souviens très précisément de ce moment. Ce jour là j’avais pris un rendez vous avec moi même et ce jour j’ai pris conscience que je n’étais plus en phase avec moi. J’éprouvais une certaine tristesse et j’avais perdu ma joie de vivre.  Il y avait urgence à prendre un nouveau départ.

Le rendez-vous avec soi-même, c’est quoi ? C’est créer un moment privilégié pour penser le quotidien de sa vie. Cela me rappelle la Grèce. On voit souvent sur les bancs des personnes âgées qui font tourner dans leurs mains un collier de perles. Un jour, je me suis posé la question : « Qu’est-ce donc ce qu’ils font tourner ? A quoi ça sert ? Et j’interroge un grand-père : pouvez-vous m’expliquer à quoi ça sert et pourquoi vous faîtes ça ?

Il me dit c’est très simple : j’occupe mon corps pour libérer mon esprit (Silence …). Immédiatement cela m’a fait penser à ces moments où je cours… J’occupe mon corps et je libère mon esprit. Ce fut une révélation. Parfois, certains  me disent : « c’est dur en ce moment, c’est le stress, j’ai beaucoup de pression, le personnel, le banquier, …» « Mais va courir ! Non seulement cela va te faire du bien, tu vas avoir de nouvelles perceptions, tu vas ouvrir tes chakras.» Mais c’est surtout un moment important où l’on va être à l’écoute de soi-même, et contrairement à ce que l’on pourrait penser, on redevient mono tâche. On occupera son corps, on libèrera son esprit pour trouver les bonnes solutions.

Prendre rendez-vous avec soi-même sur un agenda ne révolutionne pas l’organisation de l’entreprise, … On peut s’absenter. Quand on reviendra, on se rendra compte qu’il n’y a pas eu de problèmes majeurs, que des choses ont été faîtes et même parfois que l’on n’est pas indispensable, …. Et ces deux heures ont été mises à profit pour soi, pour son bien-être, et l’on revient différent. À de nombreuses reprises, mes collaboratrices me disent : « Tient, vous n’avez pas couru ces derniers jours , cela pourrait vous faire du bien (un sourire en coin).» Elles voyaient que j’étais un peu trop énergique….

En tant que chef d’entreprise, quelle est votre vision des organisations sportives? 

Si le projet est de créer les conditions pour permettre aux meilleurs d’accéder à la performance de très haut niveau, elles ne sont pas adaptées. La vision du sportif comme machine ou mécanique à gagner est vouée à l’échec. D’abord, parce que la plupart des sportifs ne perceront jamais dans leurs disciplines. Ensuite tous ces jeunes qui sont écartés du haut niveau parce qu’ils n’ont pas les qualités nécessaires, parce qu’ils ne disposent pas d’un environnement stimulant ou d’un encadrement compétent ou parce qu’ils se blessent, que se passe-t-il alors ? D’une façon générale les organisations du sport ne prennent pas en considération l’humain. Il ne faut pas traiter ces sportifs, certes performants, uniquement pour leurs performances sportives. Aujourd’hui, je pense que l’on est sur un système malheureusement obsolète, dans lequel, on ne prend pas suffisamment l’humain en charge.

Je ne veux pas dire que les sportifs sont considérés comme des machines à performance, mais je pense qu’il serait plus adéquat de penser aujourd’hui à toute une réorganisation du sport dans lequel les échanges que nous avons là, seraient menés avec des sportifs. En créant un système ouvert associant les sportifs, des enseignants, des universitaires, des entraîneurs intéressés par la question de la performance humaine et en mettant en place une gouvernance pertinente par rapport au projet. Il faut aider les athlètes à s’accomplir au plan intellectuel pour qu’ils se réalisent dans leur projet sportif. L’argument évoqué pour ne pas aborder la performance sous cet angle consiste à dire que les athlètes et les entraîneurs n’ont pas le temps.

Quelles sont les motivations de votre implication en tant que « coach entreprise » au concours de Start-up sur le sport et l’innovation organisé au Centre d’Entraînement en Altitude de Font-Romeu ?

Je m’implique dans l’événement comme dans la vie et dans tout ce que je fais. J’essaye d’apporter à ces jeunes porteurs de projet, toute mon expérience pour qu’ils soient capable de gérer leur stress, d’aller à l’essentiel dans leur business plan et d’aborder cet événement avec un certain plaisir. « Oui ça va bien se passer ! ». Je mets tout mon vécu et mon énergie pour les aider à avancer, mieux se connaître et persuader le jury de l’intérêt de leur projet. Lors de l’Ironman de Nice, j’ai été intrigué par deux individus qui se marraient avant le départ. Je me disais en moi-même : « C’e n’est pas possible, ils ne savent pas ce qu’il va leur arriver ! » Je leur pose la question « C’est la première fois que vous faîtes cette épreuve ? » Non, cela fait juste 15 fois que nous faisons l’Ironman de Nice. », me dit un des types. Eberlué, j’insiste : « Comment fait-on pour arriver au bout ? Tu sais, ce soir quand tu te couches, tu te dis seulement demain tu vas vivre une magnifique journée de sport. Tu vas voir des paysages magnifiques, tu vas vivre des moments d’émotion extraordinaires. Ne pense pas à l’objectif. Vis ta vie, vis l’événement, prends du plaisir, et tu verras, tu arriveras au bout. » J’ai longtemps médité cette réponse.

Cela me fait penser à la fable du casseur de cailloux de Charles Péguy. En pèlerinage à Chartres, Charles Péguy voit un type fatigué, suant qui casse des cailloux. Il s’approche de lui et lui demande : « Que faites-vous, Monsieur ? « Vous voyez bien, je casse des cailloux, c’est dur, j’ai mal au dos, j’ai soif, j’ai faim. Je fais un sous métier, je suis un sous homme ». Il continue et voit un peu plus loin un autre homme qui casse les cailloux ; lui n’a pas l’air mal. « Monsieur qu’est-ce que vous faites ? » « Eh bien, je gagne ma vie. Je casse des cailloux, je n’ai pas trouvé d’autre métier pour nourrir ma famille, je suis bien content d’avoir celui là ». Péguy poursuit son chemin et s’approche d’un troisième casseur de cailloux, qui est souriant et radieux : « Moi, Monsieur, dit-il, je bâtis une cathédrale. »

On pourrait transposer cette fable dans le monde sportif comme dans celui de l’entreprise. Certains ont sentiment d’être des sous hommes en cassant des cailloux alors que d’autres sont persuadés qu’ils construisent une cathédrale. C’est aussi une histoire de confiance dans la vie.  Dans le sport de haut niveau, une des questions essentielles est de savoir ce qui motive les jeunes. « Qu’est ce qui te motive à t’entraîner comme ça ? Que se passe-t-il en ce moment ? »

Et je ne crois pas que les instances fédérales arrivent à prendre du recul et discuter avec ces jeunes. Une étude menée sur le dopage dans le sport aux Etats-Unis a montré que la plupart des sportifs professionnels américains étaient prêts à se doper pour acquérir la richesse et la gloire en étant conscients que pour atteindre le succès, ils avaient de fortes chances de développer une maladie grave. Ils sont prêts à brûler leur vie en pactisant avec le diable. C’est pour cela qu’il est nécessaire d’être attentif au risque d’isolement de ces jeunes, de comprendre le monde dans lequel ils vivent et d’instaurer les conditions du dialogue et de l’entente.

Dans le sport de niveau, l’échec est difficile à vivre car il y a une attente des parents, des entraîneurs, … Par rapport au degré d’exigence des entraîneurs, les enfants sont souvent en échec. Au final, on ne laisse pas le temps. C’est la difficulté.

Les structures fédérales devraient mieux aider ces jeunes à capitaliser sur l’acquisition d’une certaine confiance en eux. La plupart du temps, ces jeunes sportifs sont intégrés dans le système comme dans une cocote minute. On fixe des objectifs, on exige une certaine performance, on exclut…. Le monde scolaire en France fonctionne également dans ce registre de la compétition. Les jeunes sportifs implantés au CNEA sont recrutés sur une double validation, scolaire et sportive. Mais procédez-vous à des entretiens en direct avec chacun de ces jeunes sur leurs projets. Pourquoi viennent-ils ici s’entraîner ? De quoi rêvent-ils ? Par quoi sont-ils habités ? Qui sont-ils ? Ce préalable-là est hyper important. Pourquoi veux-tu faire ça ? La problématique est toujours pareil. Quand les performances ou le moral décline, quand ils sont fatigués, s’ils n’ont pas de repères, et le repère, c’est le chemin, et pas uniquement le résultat ; alors, ils vont entrer dans le doute, et il n’y a rien de pire que le doute (comme état), surtout dans un lieu comme celui-là. Eloignement du milieu familial, difficulté de se confier à quelqu’un. En revanche si on leur explique d’entrée le postulat, on va vous aider à devenir ce que vous voulez être. C’est déjà énorme. Et quand on aime un individu… C’est quoi aimer un individu ? C’est lui dire : je vais t’aider à t’accomplir. Mais cela nécessite un humain, un affect (avant le système, …), et là, on n’est peut-être pas prêt. A la fois, on leur met d’énormes contraintes mais également on les déresponsabilise et les infantilise. L’essentiel est d’établir un carnet de route par rapport à un objectif. Voilà, on va faire un point sur ton chemin, où tu en es aujourd’hui ? Qu’est-ce que tu vas faire pour les réaliser. Toi, intellectuellement, mentalement, affectivement, … Tu en es où par rapport à ce que tu voulais ? Comment tu te situes par rapport à ça ? Tu es venu chercher quoi ? Tu as reçu quoi ? Tu attends quoi ?

Dans les entreprises, on organise deux fois par an des entretiens de progrès avec les employés, déterminer des objectifs, … pas seulement sur l’aspect chrono. Par l’urgence, on réduit cette relation. Malheureusement, on en est là. Au-delà d’aider un sportif à courir vite, à nager vite, il faut l’aider à penser. Dans l’échange on doit leur donner, je lâche le mot : quelques bases philosophiques qui vont leur permettre cette introspection. Voilà où j’en suis ! Je ne pense pas à l’efficacité d’un monde unique. Il faudrait que les valeurs et compétences développées dans le sport puissent être mobilisées dans le monde de l’entreprise et par extension, dans le monde des relations humaines. Et réciproquement.

Lorsque l’équipe de France de boxe est venue s’entraîner au CNEA pour préparer les Jeux Olympiques de RIO, les athlètes, loin de leurs univers, étaient un peu perdus. Lors d’une sortie sur des chemins escarpés, certains en appelaient à la police pour interdire ces lieux, comme si le vide était d’abord créé par l’absence de cadre et d’autorité. Le CNEA est un lieu de solitude, de partage et d’introspection, où chacun peut s’interroger sur ses choix et sa vie.

Le système du sport français a été conçu sur l’idée qu’il fallait épargner les athlètes des contraintes et problématiques de la vie. Comme s’il était nécessaire de se retirer du monde pour être performant. Les athlètes ne sont pas des machines et on a besoin de tout le capital humain intellectuel et physique et mettre la performance et les valeurs humaines au service du chrono et de la performance du sportif.

Tony Yoka au CNEA de Font-Romeu en stage de l’équipe de France, avant de remporter l’or Olympique à RIO 2016

Or le système sportif a tendance à expulser des sportifs au prétexte qu’ils ne font pas la toise. Il faudrait que les instances fédérales méditent sur les cas de Griezmann, N’golo Kanté, Platini, Lizarazu… qui furent écartés, à leurs débuts, des centres de formation et des grands clubs. On retrouve ce schéma sur la plupart des sports. Les meilleurs athlètes sont alors nécessairement amenés à se reprendre en main, à s’entraîner dur pour reprendre confiance en eux, et ainsi faire mentir tous les pronostiqueurs.

Francis Distinguin

Mission Haut-Niveau / Formation au CREPS-CNEA de Font-Romeu

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