D’une pratique de loisir…. à la reconnaissance olympique.
Plusieurs sports émergeants ont fait récemment leur apparition au programme des Jeux Olympiques. En 2024, le surf, le breakdance, le skate, le BMX, l’escalade seront les nouveaux promus au rang de sports olympiques. Cette reconnaissance affirme l’émergence de disciplines sportives qui ne sauraient être réduites à des gestuelles techniques encadrées par des règles mais qui doivent s’envisager comme « Fait Social Total » tant l’attrait pour ces nouvelles pratiques est considérable dans le monde. Ce phénomène mérite d’être interrogé afin d’identifier les motivations profondes des acteurs, motivations qui relève d’une certaine relation à l’environnement et à une vision du monde.
“J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.” Arthur Rimbaud
Tenter d’identifier ce qui caractérise ces disciplines ainsi que le profil des pratiquants constitue un premier niveau d’analyse.
De nombreuses études et publications sociologiques ont avancé le concept de « tribu », pour caractériser un groupe qui partage les mêmes valeurs, se retrouvent dans les mêmes lieux, partagent un même langage et adoptent des mêmes tenues vestimentaires, ….
Il est nécessaire également d’interroger ces nouvelles pratiques au regard de nouvelles formes de mobilités qu’elles autorisent. Elle se fondent tout aussi bien dans l’environnement naturel que dans ces nouveaux espaces urbains où l’architecture offre tant de possibilité d’innovation et de créativité pour cette jeunesse avide de liberté. Ces pratiquants instaurent une nouvelle relation au temps et à l’espace. Une forme de nomadisme où il s’agit d’aller voir au-delà des frontières, découvrir et s’approprier de nouveaux espaces.
Le rêve, le plaisir, le désir, le jeu … sont constitutifs de l’ADN de ces nouvelles pratiques.
Le besoin de se challenger, de se défier dans des « battles » sérieuses et conviviales s’inscrivent dans de nouvelles formes d’autogestion.
Progressivement, la compétition et ses règles s’imposeront auprès des meilleurs sportifs qui aspirent à une reconnaissance légitime des valeurs sportives de leurs disciplines.
Retournement de l’histoire, de pratiques marginales et rebelles, ces nouvelles disciplines incarnent pleinement aujourd’hui les transformations de notre société contemporaine hyper-connectée à grand renfort de sponsors et d’évènements médiatisés. Un glissement a opéré à leur insu dont la reconnaissance olympique de ces disciplines constitue la partie émergée de cet iceberg sociétal.
La Haute Performance dans ces sports émergeants.
Pour gagner des podiums olympiques, il est indispensable d’interroger les conditions d’émergence de la haute performance dans ces disciplines. Il apparait cependant que nos grilles de lectures traditionnelles sur l’analyse de la performance ne sont pas pleinement satisfaisantes pour donner un éclairage pertinent sur l’émergence de la haute performance. Plutôt que de partir de « l’analyse de la tâche » et des « qualités des athlètes » nécessaires pour performer à partir d’une base « de fondamentaux », il convient d’abord répondre aux questions :
- Comment chacun de ces pratiquants en est-il arrivé à ce tel niveau d’expertise ?
- Quelles ressources ont-ils mis en jeu ?
- Qu’est-ce qui caractérise l’environnement qui leur a permis d’exprimer leurs talents ?
- Qu’elle est la place des experts ?
Une tentative de réponse exige de procéder par une approche de type anthropologique, phénoménologique, « transactionnel », de façon à identifier les parcours qui favorisent l’émergence de la haute performance. De toute évidence cela nous invite à interroger la pertinence des modes de gouvernance des fédérations et mesurer l’opportunité des outils technologiques et des contenus d’entraînement proposés au regard des valeurs portées par les pratiquants de ces disciplines. Dans une activité comme le surf, la plupart des meilleurs jeunes surfeurs français ont abandonné le cursus classique traditionnel en faisant appel à des structures privées pour mener à bien leur double projet. Ces jeunes ont bien saisi l’importance, s’ils veulent accéder au très haut-niveau, de se confronter très tôt à la concurrence internationale dans des lieux exigeants (et risqués). Ces athlètes tentent de créer un environnement adapté à leur projet. On voit ainsi se dessiner de nouveaux types d’organisation plus ou moins privées, plus à mêmes de répondre aux exigences de la haute performance. Dès lors ces jeunes « prennent leur vie en main » car ils ne peuvent s’épanouir et performer dans leurs disciplines s’ils ne sont pas impliqués et engagés dans leur démarche. C’est le constat de bon nombre d’entraîneurs de disciplines traditionnelles qui se désolent du fait que leurs athlètes ne se prennent pas en main, soient assistés, ne soient pas suffisamment impliqués dans leurs projets. Comprendre la façon dont les acteurs s’engagent dans la vie, s’approprient ces nouveaux espaces est une condition indispensable pour interroger les conditions d’émergence de la haute performance.
Si la création de nouveaux outils d’analyse de la performance est nécessaire dans un univers de plus en plus concurrentiel, l’accès à la haute performance exige de respecter et de créer les conditions de la rencontre avec la situation de compétition. Dans ces disciplines le risque serait de considérer que la performance pourrait émerger essentiellement de la création de nouveaux outils technologiques, espaces dans lesquels vont s’engouffrer la plupart des fédérations étrangères concurrentes de la France dans l’espoir de trouver « la vérité » de la haute performance. La reconnaissance de ces disciplines émergeantes dans le concert olympique constitue par ailleurs une excellente opportunité de se rapprocher d’autres disciplines sportives (d’autres fédérations nationales) qui ont acquis une véritable culture de la Performance et le cas échéant de s’approprier les outils les plus pertinents développés par ces fédérations.
Pour que la France soit la meilleure nation au monde dans ces disciplines, il est indispensable de porter une réflexion systémique sur nos organisations sportives et être force de propositions. Le mode de gouvernance des organisations sportives devra être en phase avec les motivations, les contraintes et les exigences du haut-niveau dans ces disciplines. Cela supposera de répondre aux questions :
- Quelle Organisation ?
- Quelle Gouvernance ?
- Comment créer un environnement stimulant où chaque athlète de ces disciplines pourra développer ses compétences dans le respect de sa singularité ?
Aloha
Francis Distinguin