LES VERTUS DE L’ÉCHEC par Charles Pépin

LES VERTUS DE L’ÉCHEC, voilà un livre du Philosophe Charles Pépin, à déguster comme une glace à la vanille pour tous les entraîneurs et les athlètes.

Extraits de « l’ART d’ENTRAÎNER – Tant de Chemins ! »

Interroger l’échec.
L’entraîneur s’apprête à partir. Il ne cesse de remplir et défaire ses valises. Dans ce métier, l’échec peut parfois être source de grandeur. L’élimination prématurée d’une équipe, l’échec d’un athlète, … alors que l’entraîneur à « tout » fait pour les aider à « performer », pose la question de ce « tout », entier, absolu, refermé sur lui-même. Comment est-ce possible ?
Le destin, pas de chance, l’arbitre, le froid, le chaud, le terrain, les buts carrés… L’affirmation de ce « tout » anéantit toute introspection et tentative de compréhension. Le « tout » dévitalise l’analyse des processus et contenus d’entraînement. Le « tout » met la question du sens à la porte. Ce « tout » est douanier, limite, frontière. Comment peut-on « tout » faire ? En quoi ce « tout » répond-il aux besoins et aux priorités d’un athlète. « On a tout fait » est le signe d’un désarroi plutôt désolant. Comme si ce « tout » pouvait s’affranchir du réel et de ses contingences.
L’échec signe pourtant l’incapacité d’affirmer des vérités, une inaptitude au savoir, au repos, au triomphe. Indigent en vérité, l’entraîneur qui a été couronné par ses semblables, le fortuné, le trop visible, car il est alors jeté en pâture à la finitude. On attend de lui toujours plus. Il est Le sauveur.
Le succès ne monte pas à la tête de tous les entraîneurs et athlètes mais le tapis rouge se déploie sous leurs pieds. Légion d’honneur, invitation sur les plateaux de télévision, dans les radios… la liste est longue. Qu’ils se perdent à eux-mêmes ou se renient, c’est leur problème, mais le vrai danger est qu’ils trompent leur public sur les conditions d’émergence de la performance. L’entraîneur n’est plus l’homme au cœur déboité et aux pensées désorientées, qui lui ont permis de tisser sa toile, dans ces lieux où la lumière fait mal.

L’échec ne peut pas se réduire à une malédiction – « Je n’ai vraiment pas de chance » -, ni à l’analyse des entraîneurs « Voilà ce qui va et ce qui ne va pas », ni à la question des sportifs « Que m’arrive-t-il ? ». Il s’agit de demander aux athlètes : « Qui es-tu ? » et « De quoi es-tu responsable ? » La question a pour but d’aider les athlètes à s’interroger sur leur responsabilité, à vérifier leur implication dans leur projet. Plutôt que d’analyser l’échec comme un accident, il est parfois plus intéressant de le regarder comme la manifestation d’une intention cachée. Cela permet parfois d’ouvrir les yeux et de voir la situation sous un autre angle. La première vertu de l’échec est de nous rappeler les limites de notre pouvoir. « Affirmer que « quand on veut, on peut » est une bêtise en même temps qu’une insulte à l’égard de la complexité du réel, rappelle Charles Pépin, Il arrive même que nous échouions parce que nous avons trop « voulu », et pas assez questionné ce à quoi nous aspirons. »
Le haut niveau exige de prendre sa vie à bras le corps, sans passivité ni docilité, mais avec curiosité et enthousiasme. Les athlètes doivent lutter pour découvrir ce qui leur est arrivé afin de pouvoir en endosser la responsabilité et aller de l’avant. Les entraîneurs de même ne trouveront pas de solutions paisibles. Ils doivent lutter pour comprendre l’échec et racheter leurs erreurs. Ils reconnaissent ainsi qu’on ne peut pas se dégager de la responsabilité d’être humain. On ne peut devenir soi-même qu’en s’appropriant le problème et en étant convaincu que la responsabilité du problème revient, en fin de compte, à soi-même. Comprendre au travers de leur histoire respective, que certaines situations sont au-delà de leur contrôle, n’empêche pas d’agir. Chacun, au final, fait ce qu’il peut de sa vie.
Les athlètes ont besoin de croire en la possibilité de l’innocence, parce que cela les déresponsabilise. Ils peuvent s’échapper par la fenêtre, convaincus qu’ils ont tout fait pour réussir. Pas besoin de comprendre quoi que ce soit, ils souhaitent seulement qu’une autre personne comprenne à leur place, et ainsi préserver leur innocence. Accepter l’innocence d’un athlète, c’est lui manquer de respect. L’entraîneur est celui qui altère les directions, pour que les athlètes soient perdus et qu’ils soient obligés de trouver de nouveaux moyens de comprendre. Leur compréhension : c’est cela que l’entraîneur interroge par la mise en place de situations. Un athlète n’est pas un pinceau. L’athlète doit inventer le pinceau pour pouvoir faire un tableau, pour réaliser son œuvre.
Où en est-on maintenant ? Que penser de ceci ? Quel est le sens de cela ? Le but de l’entraîneur n’est pas d’éviter les problèmes ou de trouver des « trucs » pour les résoudre, c’est d’affronter le problème frontalement et de l’explorer aussi loin qu’il le peut. Impliqués dans une situation nouvelle, les athlètes vont chercher le sens de ce qu’ils voient. Cela enclenche une perturbation première, puis une organisation pour résoudre le problème posé. L’enchaînement des questions : Pourquoi ? Aucune réponse n’est satisfaisante. Elle appelle de nouveau au « Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? ».

Les meilleurs athlètes ont tous échoué à un moment de leur carrière avant de réussir.
Et c’est certainement parce qu’ils ont échoué qu’ils ont réussi. « Sans cette résistance du réel, sans cette adversité, sans toutes les occasions de réfléchir que leurs ratés leur ont offertes, ils n’auraient pu s’accomplir comme ils l’ont fait, » avance le philosophe Charles Pépin.
Plutôt que de se focaliser sur les succès d’une carrière sportive, Il serait intéressant d’étudier ce que les athlètes doivent à leurs échecs. Comment ces évènements, douloureux dans l’instant, les ont aidés à se remettre en question et à modifier leurs trajectoires ? Comment leurs doutes, leurs interrogations, les ont éveillés à des aspects de la performance qu’ils n’avaient pas envisagés. Des théoriciens américains de la Sillicon Valley ont mené des études sur la manière dont les créateurs de start-up ont su rebondir après des échecs. « Ils montrent que les entrepreneurs ayant échoué tôt, et ayant su tirer rapidement des enseignements de ces échecs, réussissent mieux, et surtout plus vite, que ceux qui connaissent des parcours sans accrocs. Ils insistent sur la force de ces expériences qui, mêmes ratées, font progresser plus vite que les meilleures théories. ».

L’athlète comme l’entraîneur a le droit de se tromper. « L’erreur est humaine » dit le proverbe.
L’origine de ce proverbe est indécise, et on oublie de le citer in extenso : « L’erreur est humaine, la reproduire est diabolique ».
Si l’on considère que se tromper est un passage nécessaire pour réussir, l’erreur est une manière d’apprendre. Vu sous cet angle, se tromper n’est pas bien grave à condition que chacun apprenne de ses erreurs et évite de les reproduire. Mais si l’erreur se répète systématiquement, cela révèle que l’athlète où l’entraîneur n’ont rien appris de leurs erreurs, ou du moins, n’arrivent pas à les éviter.
Certains ont besoin de défaites pour se rapprocher plus vite de leur propre talent.
Si elles fascinent le public et les médias, les performances comme les prouesses techniques réalisées par de très jeunes sportifs ne constituent pas toujours la garantie que ces sportifs domineront leurs disciplines à l’âge adulte. A peine âgé de treize ans, Richard Gasquet fut longtemps considéré comme le petit Mozart du tennis français. Jamais les spécialistes n’avaient vu une telle maîtrise à cet âge. De ses premiers pas sur un court de tennis jusqu’à 16 ans, il a enchaîné les succès avec une facilité déconcertante.
« C’est peut-être là, justement qu’est le problème de Richard Gasquet » , pointe le philosophe Charles Pépin, et de préciser : « Et s’il n’avait, durant ses précieuses années de formation, pas suffisamment échoué ? Et s’il avait commencé à échouer… trop tard ? Et si ne rencontrant pas quasiment pas l’échec, il avait manqué de cette expérience du réel qui résiste, et qui nous conduit à le questionner, à l’analyser, à nous étonner devant don étrange tessiture ? Les succès sont agréables, mais ils sont souvent moins riches d’enseignement que les échecs. »

Un échec mal vécu participe à la dévalorisation de notre personne, alors qu’il devrait être envisagé et accepté comme un événement de notre histoire personnelle.
C’est parce que l’échec résiste à la performance que nous le soumettons à la question ; nous le regardons sous tous les angles. Parce qu’il nous résiste, il est nécessaire de trouver un point d’appui pour prendre de nouveau notre élan.

Extraits de « l’ART d’ENTRAÎNER – Tant de Chemins ! » par Francis Distinguin

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